Le Grand Ouest de la France dispose de marges de croissance, mais en se positionnant sur les marchés export. Une spécialisation des exploitations et une structuration des filières permettront d’aller dans ce sens, selon Vincent Chatellier, économiste à l’Inra.
Après 30 ans d’existence, la fin des quotas laitiers approche à grands pas, générant nombre de questions pour les producteurs laitiers en place. « Nous passons d’une régulation publique à une régulation privée. Ce sont les entreprises qui décideront des rallonges de quotas, de l’encadrement ou non de la saisonnalité, qui géreront les références libérées lors des cessations. Les contrats avec les industriels peuvent faire peur, mais les producteurs n’auront pas le choix », a souligné Vincent Chatellier, économiste à l’Inra, lors d’une journée rassemblant les délégués Eilyps, le 15 novembre au Rheu (35).
Avec comme corollaire une dépendance plus forte des éleveurs à la performance de leurs entreprises. « Des écarts de prix seront observés entre acheteurs, des doubles prix (volume A et B), plus ou moins de souplesse sur les volumes. » Reste que l’avenir du secteur laitier promet d’être durablement porteur, « avec une demande laitière qui sera en hausse de 168 milliards de L entre 2012 et 2021, portée par la croissance démographique et l’augmentation de la consommation de produits laitiers. »
Le différentiel s’amenuise
Le Grand Ouest de la France fait partie des zones qui pourront apporter des réponses à cette croissance, fort d’un différentiel s’amenuisant avec les cours mondiaux (en hausse). « Nous serons un jour au niveau mondial, quand la Nouvelle-Zélande, imbattable en coûts de production comme à l’export, ne pourra plus suivre la dynamique de la demande mondiale. » La concurrence européenne est certes forte, rattachée à des outils industriels compétitifs et une stratégie de conquête du marché mondial affichée par l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande et les Pays-Bas. « Si on veut produire plus, c’est sur les marchés du grand export, en forte croissance, qu’il faut se positionner. Sinon, nous aurons trop de lait. Ce ne sont pas nos fromages AOC qui sont exportés. »
Mais l’économiste ajoute que le plus gros potentiel de développement en Europe est détenu par la France qui peut encore largement accroître sa productivité. La production de lait par UTA est de 188 tonnes en France, contre 513 au Danemark, 382 aux Pays-Bas (200 en Allemagne). La production laitière par ha de SFP est de 5 170 kg, contre 7 890 en Allemagne, 12 330 au Danemark et 13 580 aux Pays-Bas.
Un prix du lait français inférieur
En moyenne sur 2008-2012, le prix payé aux producteurs français est de 334 euros / 1 000 L, inférieur aux 365 euros italiens – liés au déficit de lait dans le pays – et également derrière la Suède (349 euros), l’Autriche (348), le Danemark (342) et les Pays-Bas (340). Vincent Chatellier s’attarde sur ces deux derniers pays : « ils sont ultra excédentaires en produits laitiers et les entreprises y sont en quasi monopole, mais ils parviennent tout de même à mieux payer leurs producteurs. »
Même s’il y aura sans doute encore des turbulences entre éleveurs et industriels français à l’avenir, l’économiste pense que les deux parties auront des intérêts communs, et devront être capables de discuter et de partager des stratégies. « Aujourd’hui, les laiteries ont peur de perdre leurs ressources laitières, ce qui va s’accentuer avec l’agrandissement des exploitations. » Vincent Chatellier aperçoit une ferme laitière française comptant 35 000 exploitations en 2025 (72 300 en 2011), produisant chacune 800 000 L en moyenne.
Charges fixes en ligne de mire
« Mais pour quel revenu ? », entend-on souvent dans les campagnes. « En travaillant plus, vous gagnez autant depuis 5 ans », constate l’économiste face aux éleveurs présents au Rheu, ajoutant au passage que beaucoup d’autres secteurs sont concernés. Il précise qu’il est évidemment inutile d’agrandir son exploitation si le lait n’est pas valorisé. Et de prédire une maîtrise des coûts accrue dans les proches années, axée sur les charges de mécanisation et la saturation des outils principalement. « Car le prix du lait est une variable importante de la rentabilité, mais ne fait pas tout. Il sera avant tout lié au prix du marché. » Agnès Cussonneau