Si les filières porcines danoise, néerlandaise et allemande ont chacune leurs propres problèmes à résoudre, elles sont toutes confrontées à une opposition sociétale croissante.
« Nos principaux défis pour l’avenir sont les conditions de travail sur les chaînes d’abattage et le régime de TVA au forfait », s’inquiétait Ludwig Theuven, économiste allemand, intervenant à la journée technique de l’Ifip, la semaine dernière. Une manière voilée d’évoquer les grosses distorsions de concurrence dont bénéficie la filière allemande depuis plusieurs années sans que les politiques européens ne s’en émeuvent. En attendant les changements plus ou moins promis, les allemands ont mis leurs voisins à genoux. 15 millions de porcelets transitent chaque année des Pays-Bas et du Danemark vers leurs engraissements. Un flux qui constitue une menace réelle. Un problème sanitaire conduirait à la fermeture des frontières. Que deviendraient ces porcelets, bloqués dans leur pays d’origine ? Les abattages massifs de ces jeunes animaux, pendant plusieurs semaines, provoqueraient un émoi compréhensible dans l’opinion. Le système a atteint ses limites. Les Danois se mobilisent pour engraisser plus de porcs. Non sans difficultés. Les Néerlandais sont englués dans leurs problèmes environnementaux et attendent avec une certaine inquiétude la fin des quotas laitiers. Les allemands sont confrontés à l’acceptation sociétale. Tour d’horizon avec trois économistes du Nord de l’Europe. Bernard Laurent
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Danemark : trouver des engraisseurs au pays
Les Danois exportent plus de 9 millions de porcelets vers l’Allemagne et désormais vers la Pologne, tous les ans. Le système pose des problèmes aux abatteurs danois. Danish Crown affiche sa volonté de développer l’engraissement en soutenant financièrement la création de sites. « Ils accordent un bonus d’un centime par kilo de carcasse pendant 5 ans pour encourager la conversion d’élevages naisseurs en engraisseurs. Pour une construction à neuf, ils accordent 2 centimes, toujours pendant 5 ans, jusqu’à hauteur de 8 000 porcs », indique Finn Udesen, du Danish Agriculture and Food council. Les salariés de Danish Crown, conscients du danger de perte d’emplois dans le secteur, ont même proposé un plan d’aide, basé un soutien financier conséquent de 80 millions d’euros sur 4 ans, pour un supplément de 3 millions de porcs abattus chaque année. Une proposition refusée par l’entreprise mais qui illustre bien la crainte actuelle dans le pays face à l’affaiblissement de l’aval.
La filière se plaint de la taille des élevages engraisseurs. « Beaucoup de trop petits ateliers, qu’il faut absolument aider à se restructurer et à se développer. Sinon, l’exportation de porcelets augmentera vers la Pologne ». L’enjeu est également économique. Les marges brutes par porc sont de 19 € en moyenne dans les élevages de plus de 8 000 porcs à l’engrais contre 15 € dans ceux de moins de 5 000 porcs. Les pouvoirs publics soutiennent les investissements dans la filière, notamment pour ceux ayant trait à la protection de l’environnement : 20 millions d’euros en 2013. Le secteur en a bien besoin. La crise financière de 2008 a eu raison de la spéculation sur le foncier et des investissements en porcheries. Les banques accordent des prêts jusqu’à hauteur de 70 % de la valeur de la ferme, garantis par une hypothèque sur les actifs de l’agriculteur, notamment le foncier. « C’était favorable tant que la terre prenait de la valeur. Mais le prix de l’hectare est passé de 33 000 € de moyenne en 2008 à 20 000 € actuellement ». La durée de remboursement de ces prêts hypothécaires est de 20 à 30 ans avec une possibilité de différé de 10 ans pendant lesquels l’éleveur ne rembourse que les intérêts. Ces prêts sont complétés par des crédits bancaires classiques. Certains éleveurs ont investi, ces dernières années, en Russie et en Ukraine, avec succès, selon Finn Udesen. « Actuellement, ils se tournent plutôt vers la Roumanie ».
Allemagne : le citoyen consommateur tique
Des ports à proximité des zones de production (Basse-Saxe ; Westphalie), des agriculteurs entrepreneurs favorisés par la fiscalité, des porcelets importés en grand nombre des pays voisins et surtout une main d’œuvre payée bien en dessous des 8 € de l’heure, ont profité à l’élevage allemand. 45 millions de porcs abattus en 2007, 51 millions en 2011, 60 millions en 2012 ; où s’arrêtera l’Allemagne ? « Elle a sans doute atteint une limite », rassure Ludwig Theuven, économiste. « La croissance de la production se heurte à l’acceptation sociétale. C’est le problème majeur auquel sont confrontés les agriculteurs qui veulent construire un nouveau bâtiment ». En réponse, la filière tente d’augmenter la production différenciée (labels). « Elle a surtout compris qu’elle doit être à l’écoute des organisations environnementales ou de bien-être animal. Ne pas s’opposer systématiquement, comme avant. Elle doit communiquer et anticiper ».
Comme en France, deux niveaux d’oppositions aux projets se font jour. « Le voisinage, pour les odeurs ou le bruit des camions, et les organisations nationales qui ont une influence politique dans les régions notamment de Basse-Saxe et de Westphalie ». Les politiques tentent de conforter les petits et moyens élevages, moins intensifs et de désavantager les plus grands. Un autre frein au développement : le coût alimentaire est désormais plus élevé que dans les pays voisins (DK, Pays Bas et France) et continue d’augmenter. La concurrence sur le maïs entre élevage et méthanisation est forte. Malgré ces contraintes, les banques prêtent volontiers. « Elles considèrent les prêts aux éleveurs comme une activité à faible risque ». La période de croissance de la production est passée mais l’Allemagne restera un acteur important sur le marché mondial du porc. Des industriels anticipent en se développant à l’étranger. L’un d’entre eux vient d’investir 60 millions d’euros en Russie.
Pays Bas : les laitiers vont prendre de la place
« Les Pays-Bas sont précurseurs, les concurrents suivent ». Robert Hoste, économiste néerlandais, parle des techniques utilisées pour limiter la pression sur l’environnement qui pénalisent les élevages de son pays. « Les coûts sociétaux (gestion des effluents, réduction des émissions, droits à produire, taxation énergie, surface par porc….) représentent 19 centimes par kilo de carcasse chez nous contre 5 à 8 centimes en France, en Allemagne, au Danemark, en Pologne ou en Espagne ». Cette demande sociétale induit une augmentation du coût de production de 15 %. Une partie est compensée par les performances techniques. Les émissions d’ammoniac, d’odeurs et de poussières fines ont été divisées par deux en vingt ans grâce aux laveurs d’air (acide) ou aux techniques d’épandages (enfouissement). « Cela représente 4 centimes par kilo de carcasse de coût en bâtiment neuf ».
Une bonne partie des déjections est exportée, après hygiénisation (séparation de phase, compostage). La production laitière, moins contrainte par la gestion des déjections, pourrait concurrencer la production porcine dès la fin des quotas. L’objectif de la filière laitière est d’augmenter la production de 20 %, après 2015. « Il y aura peu de place pour le développement du porc. Peut-être quelques engraissements ». Dans un pays où une centaine d’organisations environnementales œuvrent pour limiter la production animale et où les citoyens « vivent dans l’angoisse d’une épidémie », la distance s’accroît entre les éleveurs et la société. « Certaines régions ont instauré un système de permis de construire à points, soumis à divers critères à respecter ». Le syndicat des éleveurs de porcs réagit en organisant des portes ouvertes pour rassurer le consommateur. « Le combat des organisations, c’est surtout le bien-être et les conditions d’abattage ».