Tandis que le blé suffit à peine à satisfaire la demande mondiale, le cours du maïs reste scotché par des stocks américains pléthoriques. Pour le moment, l’écart de prix entre les deux céréales ne devrait diminuer ni sur le marché américain ni sur le marché français. Il faudra sans doute attendre la sortie d’hiver des blés pour voir évoluer les fondamentaux. D’ici là, les investisseurs pourraient se détourner du marché.
Cette saison, blé et maïs ne vieilliront pas ensemble ! Chacun devrait vivre sa vie, porté par des fondamentaux très différents. Le seul médiateur capable de les réunir serait un fort désengagement des investisseurs indiciels des marchés des matières premières. Comme ces derniers achètent des « paniers » de commodités, l’ensemble serait emporté par le fond, si d’aventure, cela se produisait dans les 12 prochains mois. Car les performances tant promises sur cette classe d’actif ne sont pas au rendez-vous, alors que le scénario de la déflation s’installe chaque jour un peu plus. Depuis 2012, les flux d’argent investis par cette catégorie d’acteurs financiers restent stables. Mais il suffirait d’une recommandation d’une grosse banque ou d’un fonds puissant pour faire migrer rapidement de nombreuses liquidités hors de ce segment de marché. Nous n’y sommes pas, et pour l’instant, les fondamentaux priment.
Bilan mondial tendu en blé
En blé, le bilan mondial 2013/2014 est tendu. La production a beau augmenter, elle permet tout juste de satisfaire la demande. La hausse des réserves internationales reste faible (6 Mt) et laisse le marché à la merci des États qui souhaiteraient stocker plus. La Russie doit impérativement augmenter ses réserves de blé meunier, dont le prix intérieur atteint des niveaux record. La Chine pourrait aussi être tentée d’engranger plus de stocks, vu l’écart de prix entre son marché domestique et le marché mondial. L’Australie, dont le niveau de récolte est encore incertain, a démarré la campagne avec des silos vides.
Enfin l’Argentine semble rayée de la carte pour une deuxième saison consécutive et devrait rendre son marché local prioritaire. Ça n’est donc pas en deuxième partie de campagne que les quantités de blé seront pléthoriques chez les exportateurs. Cela laisse un boulevard à la céréale française, dont les ventes sont déjà bien engagées. Les principaux concurrents (et notamment les origines Mer Noire) ont réalisé leur effort en début de saison et ne devraient plus être très compétitifs. L’Inde et le Canada sont plutôt destinés à vendre sur l’Asie. Les USA ont vendu 75 % de leurs objectifs.
La carte de la France
Reste donc l’Europe et notamment la France (maintenant que le train roumain est passé), pour assouvir le marché mondial. La qualité meunière étant au rendez-vous cette saison, nous avons de quoi satisfaire les demandes. Cela explique aussi pourquoi le blé fourrager, dont les disponibilités sont faibles chez nous mais aussi ailleurs dans le monde, a un écart de prix très faible avec le blé meunier sur cette campagne. Dans le bilan français, les exportations sont évaluées à 11,2 Mt. Ce chiffre pourrait augmenter si les prix du blé meunier s’apprécient, permettant de collecter une marchandise encore disponible chez les agriculteurs.
Pour que l’offre rencontre la demande, il faut sans doute aller chercher le seuil psychologique des 200€/t départ ferme, soit un équivalent de 215/220 €/t sur le Matif. Nous sommes en bonne voie, avec une cotation sur la première échéance qui a progressé de 202 € à 210 €/t en un mois…Pour la suite, tout va se jouer en fonction de la prochaine récolte. Pour le moment, les semis des blés d’hiver dans l’hémisphère nord se sont bien déroulés, mais c’est au printemps que nous validerons, ou pas, une bonne récolte.
Des investisseurs de poids
Les investisseurs indiciels ne sont pas les contreparties historiques des opérateurs physiques sur les marchés à terme agricoles, contrairement aux hedge funds. Leur montée en puissance depuis 2005 tient à plusieurs raisons, dont la mise à disposition de produits répliquant les performances d’indices (paniers de matières premières) proposés par de grandes banques, comme le GSCI de Goldman Sachs. C’est la promesse de pouvoir gérer l’inflation, tout en offrant une performance de long terme, qui a permis le succès de ces produits financiers et fait des matières premières agricoles, une classe d’investissement comme une autre. Exclusivement acheteurs et passifs, les Indiciels ne sont pas une grande source de volatilité journalière. Cependant, ils représentent aujourd’hui 30 à 40 % des volumes traités. Cet accroissement de liquidité provoque une tension artificielle sur les marchés des produits agricoles car ces flux sont décorrélés des fondamentaux.
Le maïs américain dicte sa loi
Face au blé, le maïs reste scotché par des stocks américains pléthoriques. Les USA ont aligné une récolte historique, avec 355 Mt. Le meilleur score, il y a quatre ans, était de 333 Mt. Face à eux, l’Amérique du Sud devrait produire moins de marchandise cette saison. Mais qu’importe, l’Ukraine et les Etats Unis devraient largement suffirent à satisfaire la demande mondiale, sans entamer des réserves mondiales regonflées à bloc (+27 Mt) ! Le prix du maïs yankee, largement drivé par la consommation américaine qui représente l’essentiel de ses débouchés, décide donc du prix mondial. A Chicago, le contrat décembre est tombé à 4,11 $/boisseau le 19 novembre dernier, soit un équivalent de 119,5 €/t. Le même jour, le maïs français valait 173 €/t sur Euronext. Depuis, la céréale fourragère a progressé jusqu’à 179 €/t sur le marché hexagonal.
Cependant, aux USA, les tentatives de progression ne tiennent pas. En France, la concurrence du maïs ukrainien devrait aussi limiter les velléités de renchérissement de la céréale, sur le marché breton notamment, malgré une offre en blé fourrager et en orge limitée. Au-delà d’une rétention possible des agriculteurs français, il faudrait de gros problèmes logistiques au départ de la Mer Noire, ou bien un engorgement dans le Golfe du Mexique pour entraîner les prix un peu plus haut. Pour l’instant, la valeur du maïs sur le marché de Chicago tend à décourager les futurs semis de la céréale, afin d’équilibrer le bilan mondial. Le soja vaut 3 fois plus cher sur l’hiver 2013, ce qui a boosté les semis sud-américains. Par contre, le ratio entre l’oléagineux et la céréale est de 2,4 sur l’automne 2014. Pas de quoi décourager complètement les « farmers » américains ! Reste que, comme chaque année, nous pouvons connaître un accident climatique dans une région clé de production. Nous serons alors bien contents d’avoir quelques grains en réserve.
Pour le moment, l’écart de prix entre les deux céréales ne devrait donc pas diminuer sur le marché américain. Il en va de même sur le marché français. Quant à l’orientation des prix, elle dépend désormais plus des perspectives de campagne 2014/2015 que de la saison en cours. Patricia Le Cadre /Céréopa. www-vigie-mp.com