Ces dernières années, des accords interprofessionnels et diverses lois françaises concernant les plants et semences remettent en avant le sujet délicat de l’utilisation des semences de ferme. La semaine dernière, il s’agissait de la loi contre les contrefaçons.
Nouveau bras de fer ces derniers jours entre les défenseurs des semences de ferme et les entreprises de création de semences, suite à l’adoption d’une proposition de loi socialiste sur le renforcement de la lutte contre les contrefaçons, le 22 janvier par le Sénat. Une cinquantaine d’agriculteurs de la Confédération Paysanne ont envahi les locaux du Gnis à Paris, demandant une « exception agricole à la loi sur les contrefaçons ». D’après le syndicat, le gouvernement devrait déposer un amendement afin que les semences de ferme ne soient plus concernées par ce texte, lors de son examen, le 4 février par l’Assemblée Nationale.
Pour la liberté des semences auto-produites
Selon la Confédération Paysanne, si le texte était voté en l’état, « les paysans qui voudront produire leurs propres semences seront sous la menace constante de poursuites en contrefaçon, de saisie voire de destruction de leurs récoltes ». La Coordination nationale de défense des semences fermières (CNDSF) se bat à son côté pour le droit d’utiliser sa récolte pour sa semence et contre la notion de contrefaçon dès lors qu’il s’agit d’espèces végétales. Selon cet organisme, les semences de ferme représenteraient 50 % des surfaces en céréales. Le Gnis affirme que cette loi « ne vise qu’à renforcer les pouvoirs des tribunaux ou les compétences des services de douanes », mais jamais à définir ce que constitue une contrefaçon.
Le projet ne concerne que la circulation de produits contrefaits, du sac Vuitton aux parfums. « Dans cette loi très générale, le projet de contrefaçon agricole représente à peine cinq lignes dans un rapport de 80 pages », rapporte Hélène Lipietz, sénatrice écologique. Ce n’est pas une loi de fond mais un texte de procédure pour modifier les modalités de saisie judiciaires et l’estimation des préjudices. Selon Vincent Poupard, délégué régional Ouest au Gnis, il y a amalgame entre différentes lois. Les personnes opposées à la loi de 2011, qui, pourtant, autorisait enfin l’utilisation des semences de ferme mais avec la mise en place d’une rémunération pendant la période de protection d’une nouvelle variété, utilisent ce projet pour la remettre en cause.
Le financement de la recherche toujours en débat
Sur deux à trois nouvelles variétés inscrites par an, une seule trouvera sa place sur le marché après une phase de développement, d’expérimentation, de marketing… Et la rentabilité d’une nouvelle variété n’intervient que quand elle aura suffisamment de volume commercialisé. « Cette phase n’est accessible que 15 ans par exemple après la création de la variété en pomme de terre », calcule Emmanuel Guillery, directeur de Bretagne Plants. Un délai pendant lequel l’obtenteur et l’entreprise qui va développer cette variété n’accumulent que des charges… « Tant que la variété est protégée, la multiplication du plant en exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur et le versement de royalties, c’est du piratage », rajoute-t-il. Sans cette mise en place de rémunération, les innovations génétiques risquent d’être pénalisées à terme.
La CVO, uniquement pour les variétés protégées
Avant de s’étendre aux autres espèces, un accord professionnel a décidé la mise en place d’une cotisation volontaire obligatoire (CVO) dès juillet 2013 pour le blé tendre. Cette CVO, perçue par l’organisme stockeur et gérée par le Gnis, est destinée à renforcer les moyens financiers pour l’obtention végétale. Le fonds collecté alimente pour 85% les obtenteurs des variétés protégées et pour 15% un fonds collectif. Ce fonds de soutien à l’obtention végétale (FSOV) est destiné à financer des programmes de recherche répondant à des critères précis. Le premier d’entre eux touche à la finalité de ces programmes : ils doivent aller dans le sens d’une agriculture durable plus respectueuse de l’environnement.
Reconnaitre la recherche par l’agriculteur
« Mais on travaille avec du vivant. Pourquoi payer des royalties sur une semence qui, retriée, n’est plus la même qu’au départ ? » interroge Dominique Raulo, nouveau porte-parole de la Conférération Paysanne en Bretagne. Pour Vincent Poupard, si la variété n’est effectivement plus la même, l’agriculteur n’a pas de royalties à payer. « Les agriculteurs sont les premiers à faire de la recherche au quotidien, en choisissant des variétés productives, les plus adaptées au sol de leur exploitation », insiste le syndicaliste. Il apostrophe les pouvoirs publics et leur demande de ne pas se désengager de la recherche. L’Inra a, selon lui, un rôle a jouer, il devrait mettre en œuvre des recherches pour des semences adaptées aux différents types de sols. « L’avenir de l’alimentation est en jeu, ainsi que l’indépendance des agriculteurs face aux firmes semencières », conclut-il. Carole David
L’avis de Vincent Poupard, Délégué régional Ouest Gnis
La loi de novembre 2011 n’interdit pas les semences de ferme. Au contraire, elle donne un cadre juridique, jusqu’alors inexistant, sur l’utilisation des semences de ferme, moyennant une participation au financement de la recherche. 21 espèces sont à ce jour concernées. Les royalties ou droits d’obtenteurs sont dues durant la durée de protection de la variété (30 ans pour les pommes de terre et 25 ans pour les autres espèces). Des accords interprofessionnels pourraient être engagés pour inclure les protéagineux. Le ministère de l’Agriculture, ainsi que les trieurs à façon, aimeraient y ajouter d’autres espèces comme les fourragères et des plantes de couverture.