La méthanisation agricole patine souvent à cause du surinvestissement lié à la valorisation de la chaleur. Stéphane Le Foll ne considère pas pour autant l’injection de gaz sur le réseau comme une solution à grande échelle.
Dans les allées du salon Biogaz Europe, cette semaine à Saint-Brieuc, on a beaucoup entendu parler de méthanisation et d’injection. Jusqu’à maintenant, la méthanisation s’appuyait sur le modèle de cogénération, c’est-à-dire que le biogaz produit par l’unité de fermentation sert à alimenter un moteur qui produit de l’électricité vendue à EDF et de la chaleur qu’il faut valoriser sur l’exploitation ou à proximité. Mais aujourd’hui, la transformation du biogaz en biométhane après épuration permet d’injecter ce dernier directement sur le réseau de gaz (transport ou distribution) ou pourrait être à l’avenir utilisé comme carburant par les véhicules et les engins de l’exploitation. David Colin, directeur territorial Côtes d’Armor et Ille-et-Vilaine pour GRDF : « L’injection de biométhane dans le réseau de gaz naturel est autorisée en France depuis 2008, mais le tarif de rachat n’a été publié que fin 2011. C’est pourquoi la quasi-totalité des unités de méthanisation en service ou en projet misent sur un système de cogénération. Mais avec la mise en service, fin août, de la première unité en injection, on s’attend à avoir de plus en plus de demandes. »
Premier méthaniseur agricole sur le réseau
Mauritz Qaak, agriculteur installé en polyculture-élevage en Seine-et-Marne (77), exploite le premier méthaniseur de France à injecter sa production sur le réseau de gaz naturel. Intervenant comme témoin lors d’une des conférences du Salon, il a expliqué son choix : « En France, on produit de l’électricité et on importe du gaz. Alors pourquoi ne pas produire du gaz, ou biométhane, au lieu de l’électricité lorsqu’on investit dans une unité. Sur notre exploitation, la méthanisation avait sa place mais pas la cogénération car on ne disposait pas des débouchés pour valoriser la chaleur. » Le projet, démarré en 2008, a abouti l’année dernière (injection sur le réseau depuis le 28 août 2013). « Ce fut long, concède Mauritz qui reste pourtant positif. Tout a mis du temps à se concrétiser car on a bâti la filière avec la difficulté de mettre en place les contrats de raccordement et d’injection… Mais que les porteurs de projet ne soient pas découragés car aujourd’hui c’est plus court, environ trois ans, et on espère qu’à l’avenir ça ira encore plus vite. »
Alors l’injection représente-t-elle un réel débouché pour la méthanisation à la ferme ? Certains constructeurs y mettent un peu d’espoir, notamment dans l’idée de s’acquitter de la problématique de valorisation de la chaleur. Loïc Picot, président de la société briochine IEL explique : « Avec les unités de moins de 150 kw, il y a effectivement trop de contraintes liées à la chaleur. On se creuse la tête pour trouver de nouveaux moyens pour la valoriser. Mais cela passe souvent par une diversification qui mène à une situation de surinvestissement. Soit le projet perd en rentabilité, soit les banques ne suivent pas. On souhaite développer la petite méthanisation à la ferme, mais plus les puissances sont basses, plus ce problème de coûts fixes se pose. Aujourd’hui, pour permettre le décollage de la filière, il faudrait d’abord revoir la proportion de chaleur à devoir utiliser pour atteindre le meilleur retour économique : en baissant par exemple la limite de 70 % à 50 % de la chaleur valorisée. » L’injection permettrait également de s’alléger de cette question épineuse.
Repères sur l’injection
- 15 ans, durée du contrat
- 3 ans, délai pour concrétiser un projet
- 365 études de raccordements réalisées en France, dont 68 en 2013
- 17 à 20 unités seront raccordées au réseau en France en 2014
- 2015, année du premier raccordement prévu en Bretagne
- 73 %, la proportion de gaz vert produit localement en 2050 (prévisions de GrDF)
Pour le ministre, les petites unités non concernées par l’injection
Dans les allées, le ministre de l’Agriculture a d’ailleurs été beaucoup interpellé sur le sujet par les exposants et les porteurs de projet. Mais le dossier n’est pas si simple. Bien au contraire. Concernant l’injection directe de biométhane sur le réseau, Stéphane Le Foll a été clair : « Oui, l’injection pour le stockage de méthane est intéressante en prévision des pointes de consommation pendant lesquelles les mégawatt coûtent très chers et où nous sommes très dépendants. La Bretagne par exemple n’est autonome qu’à hauteur de 10 % aujourd’hui, même si ça progresse. » Mais attention, le ministre prévient : « Il faut organiser cette démarche pour l’intérêt général. On n’y arrivera pas en raccordant tous les méthaniseurs. Sur les petites unités, il est préférable de fournir de l’électricité et de valoriser la chaleur de la cogénération sur place. Une utilisation qui rend les fermes plus autonomes en énergie. Il y a tant de choses à faire : chauffer des bâtiments ou des villages, sécher en grange… »
100 000 € par an pour le raccordement
Pour lui, le raccordement direct au réseau gazier ne peut être imaginé qu’en fonction des besoins de la zone et dans des cas précis, « car il est trop compliqué. On ne peut pas imaginer des kilomètres et des kilomètres de réseau pour que chaque exploitation se raccorde… Au contraire, nous travaillons avec les acteurs de la filière pour un développement coordonné de l’injection » Les pouvoirs public avancent effectivement en collaboration étroite avec ERDF, GRDF, Suez ou encore Air Liquide « notamment pour la filtration du gaz. » En aparté du discours de Stéphane le Foll, un observateur avisé de la filière précisait aussi « que le coût du poste d’injection est cher. C’est en fait une location à GRDF qui se monterait à 100 000 € par an. Elle est donc réservée à de grosses unités, de l’ordre de 500 KW… » Nicolas Goualan, Toma Dagorn
L’avis de Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture
Fin 2012, il y avait 90 méthaniseurs agricoles en France, contre 5 000 en Allemagne. Fin 2013, on dénombrait 140 unités pour une puissance électrique totale de 23 Mw. Pour 2014, près de 140 projets sont recensés dont une trentaine en Bretagne… ça commence à décoller. Avec toujours l’objectif du plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote (EMAA) qui est d’atteindre les 1 000 installations à horizon 2020. D’autre part, il n’y a aucune raison qu’en France un dossier réclame 2 à 3 ans quand ailleurs il ne faut que 6 mois. Ce que je veux aujourd’hui, j’en ai discuté avec le préfet de Région c’est un guichet unique qui délivre un certificat de projet une bonne fois pour toute. L’expérience de ces procédures allégées doit se faire dès mars 2014. Objectif : la simplification pour les porteurs de projet.