Un marché russe trop politisé

Le marché russe absorbe des abats et des produits gras, difficiles à valoriser ailleurs. L’embargo profite à d’autres bassins mondiaux de production.

« Le prix du porc a perdu 10 centimes à cause de l’embargo russe. Nous nous attendions, avant la fermeture de la frontière et la perte de ce marché, à une hausse de 10 centimes ». Michel Bloc’h, président de l’UGPVB, intervenant à l’AG porc de Triskalia, est amer. L’impact peut être estimé à une vingtaine de centimes par kilo, soit 15 à 20 euros par porc. « L’Union Européenne n’arrivera pas à exporter vers la Russie. Désormais, les négociations doivent avoir lieu de pays à pays ». Selon lui, les allemands, pour de sombres raisons politiques, ne parviendront pas à placer leur viande de porc. Les Danois, par contre, ont déjà commencé à discuter avec les autorités russes. La France doit embrayer. « Les politiques doivent se mobiliser. Ce sera compliqué. Le problème Ukrainien ne facilite pas les relations en ce moment ». Les importations russes, en provenance de l’Union Européenne, sont de 800 000 tonnes par an, (le quart des exportations totales des pays de l’UE).

Les frigos sont pleins

Sur ce volume européen, la France compte pour 75 000 tonnes. « L’export vers la Russie est absolument indispensable », assure Paul Rouche, directeur du SNIV (syndicat national des industries de la viande). « Nous leur vendons essentiellement des abats et des produits gras que nous avons du mal à placer ailleurs. Ces produits sont valorisés à 1,30 €/kilo à l’export vers ce pays. Dans l’UE, ces mêmes produits valent 15 à 20 centimes du kilo ». Dans l’immédiat, les viandes sont stockées. « Les frigos sont pleins en Bretagne. Il va falloir que la situation se débloque rapidement, sinon les prix ne tiendront pas longtemps ». Ils se sont encore relativement maintenus en raison de la baisse globale de l’offre en Europe (- 4 % d’abattages en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, depuis le 1er janvier). Cette situation ne durera pas si les Russes ne rouvrent pas leurs frontières. Les discussions bilatérales qui pourraient soulager certains pays membres sont problématiques. « La Russie est le seul pays importateur qui exige un certificat communautaire. Les autres demandent des certificats nationaux. L’Union Européenne continue de discuter et voudrait un accord global ».

Le cochon brésilien en profite

La Commission européenne pense que les Russes ne pourront pas longtemps se passer des viandes de l’UE. Depuis lundi dernier, Moscou vient d’autoriser les viandes en provenance du Brésil. « A partir du mois de mars, cette autorisation sera totale ». Le marché perdu au profit des brésiliens sera difficile à reconquérir. « Aujourd’hui, les Russes se reportent sur des importations de poulet, de dinde… Mais le Brésil, avec 130 000 tonnes de porc écoulées en Russie par an, n’a pas les moyens de compenser l’absence de la viande européenne », relativise Jean-Pierre Joly, directeur du MPB (marché du porc breton). « L’embargo a débuté deux jours après un sommet Russie-Europe qui s’était mal passé. Il faut trouver une solution politique car cette situation ne peut pas durer trois mois.  Y aller seul ou attendre l’Europe ? Le ballet des Etats membres a déjà commencé à Moscou pour des négociations bilatérales. »

L’Asie, débouché essentiel

La Russie ne constituera pas très longtemps un eldorado pour la viande de porc mondiale. Les autorités tentent de combler chaque année un peu plus le déficit en encourageant la production. Le pays espère devenir autosuffisant en viande de porc vers 2020. Le temps, pour les opérateurs, de trouver d’autres débouchés encore plus à l’Est. Ils ne font pas défaut. Singapour (5,3 millions d’habitants) a été contrainte de doubler ses importations de viande de porc ces dix dernières années. La Corée du Sud a également un déficit structurel fort depuis 2000. Malgré des efforts importants de modernisation de l’élevage, la production porcine stagne. Les importations (500 000 tonnes) représentent désormais un tiers des besoins. Depuis de nombreuses années, le Japon est dépendant de ses importations pour nourrir sa population. La moitié de sa consommation de viande de porc est importée d’Amérique et d’Europe. L’archipel est le second acheteur mondial en volume (1,2 millions de tonnes), mais de loin le premier en valeur. La demande porte sur des produits de haute qualité, vendus en moyenne trois plus chers au kilo que ceux exportés sur la Chine, premier acheteur en volume. Bernard Laurent

L’avis de Frédéric cado, Jestin Viandes

Nous avons, depuis quelques années, diversifié nos débouchés pour éviter les problèmes de fermeture des frontières. Le marché russe ne représente que 7 % de notre chiffre d’affaires, toutes viandes confondues. L’Afrique représente 30 %, avec beaucoup de viande de volaille mais aussi du porc dans les pays de l’Ouest. L’Asie compte pour 20 % de notre chiffre d’affaires. Le marché russe était un marché stable et porteur qui soutenait les prix. Mais c’est un marché qui a  tendance à se politiser. Les problèmes qui aboutissent à la fermeture des frontières n’ont rien à voir avec le sanitaire ou l’alimentaire. Actuellement, tous les opérateurs se tournent vers les mêmes marchés pour compenser. La concurrence est exacerbée.


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