La pomme de terre peut contribuer à nourrir l’Afrique

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Avec ses rendements records et ses facultés d’adaptation, la pomme de terre peut rendre de grands services sur un continent qui verra ses besoins alimentaires multipliés par 5 d’ici à 2050.

Un trésor enfoui. C’est ainsi que Bernard Jouan, président d’Agronomes sans frontières, qualifie le tubercule le plus productif sur la planète. L’ancien fils de paysan breton, devenu directeur de recherche à l’Inra, est intervenu à l’assemblée générale du SDAE 56 (section départementale des anciens exploitants de la FNSEA), la semaine dernière. A la présidence de l’organisation non gouvernementale, il comble ses deux passions : le développement de la culture de la pomme de terre et la problématique de la malnutrition dans le monde. « Après avoir sauvé l’Europe, elle peut contribuer à sauver l’Afrique », assure le spécialiste. « On la retrouve de 0 à 4 000 mètres d’altitude. Elle est capable de rendements de 15 à 30 tonnes à l’hectare, soit 2 à 4 fois plus que l’igname, par exemple. Son cycle est court et la demande est forte à la consommation ».

Que manque t-il donc à la 3e culture vivrière mondiale (1re non céréalière) pour percer en Afrique ? « Un approvisionnement en semences de qualité ». Les variétés rouges comme Désirée, ou blanches, comme Claustra, bien connues des producteurs bretons, s’adaptent bien au Mali, au Burkina ou au Niger. « Il y a un réseau à créer pour produire ces semences. Le nombre de multiplications successives à la ferme est limité par l’accumulation d’agents pathogènes dans la descendance. Les maladies s’implantent au bout de quelques générations ». Le modèle, c’est la filière bretonne qui produit, selon lui, les meilleures semences de pomme de terre au monde.

[caption id= »attachment_10056″ align= »aligncenter » width= »300″]La pomme de terre est une plante de cycle court, intéressante dans la rotation La pomme de terre est une plante de cycle court, intéressante dans la rotation. A volume de production égal, elle nécessite donc bien moins de travail et d’eau que beaucoup d’autres cultures.[/caption]

Peu de mildiou

Si le mildiou n’affecte pas les récoltes (peu d’humidité en saison sèche), les problèmes sanitaires ne sont pas absents : insectes, teignes, flétrissement bactérien ou nématodes sont susceptibles de ravager les cultures. « A défaut de traitements phytosanitaires (produits pas toujours disponibles), la gestion préventive s’impose. Pour cela, des formations sont nécessaires ». Pas toujours évidentes à organiser : barrière de la langue, retenue des informations… « Beaucoup de paysans ne savent pas lire. Les informations sur les pratiques culturales sont transmises seulement par oral ». Quand la culture est implantée dans de bonnes conditions, les rendements suivent. Se pose ensuite le problème de la conservation. « Les récoltes sont groupées. Si toute la production est mise sur le marché au même moment, les prix s’effondrent.

Il faut donc stocker les tubercules au moins deux à trois mois ». L’ONG encourage la construction de bâtiments en dur, isolés et bien aérés, avec des bassins d’eau pour conserver un maximum de fraîcheur. « Ces aménagements permettent de gagner quelques semaines. C’est tout bénéfice pour le producteur, comme pour le consommateur ». L’objectif d’Agronomes sans frontières est de construire un prototype de chambre froide fonctionnant à l’énergie solaire. « Ah, si on avait fait autant de recherches sur le solaire qu’on en a fait pour d’autres sources d’énergie… ». Le rire est un peu jaune. Le soleil est quasi permanent dans ces régions. « Nous avons besoin de 50 000 € pour mettre au point cet équipement ». La somme paraît dérisoire compte tenu des enjeux, et pourtant l’organisation peine à la collecter.

Une production mondiale consommée localement

Selon la FAO, la production mondiale de pomme de terre s’établit à 325 millions de tonnes. Entre 2000 et 2010, la production mondiale reste relativement stable, après avoir connu une hausse importante entre 1990 (267 millions de tonnes) et 2000 (327 millions de tonnes), grâce notamment à la Chine et à l’Inde. En 2010, la Chine, avec 75 millions de tonnes, est le premier producteur de pomme de terre (23 % de la production mondiale) ; suivent l’Inde (11 %), la Russie (7 %), l’Ukraine (6 %) et les États-Unis (6 %). L’intégralité de la production de ces pays a pour finalité de fournir leur propre marché intérieur : seulement 1 % de leur production en frais est exportée. Les principaux exportateurs mondiaux sont les pays producteurs de l’Union Européenne (UE) : la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique. Cependant, là encore, ces exportations approvisionnent principalement le marché intérieur européen. Un quart des pommes de terre en frais exportées d’un pays de l’UE a pour destination l’espace extra-communautaire, dont 57 % à partir des Pays-Bas.

Protéger la production locale

Récemment, Bernard Jouan a été reçu par le Premier ministre nigérien. Objectif : créer cette fameuse filière qui permettrait de développer la culture. « C’est possible ! Les producteurs peuvent aussi se prendre en main en s’organisant. En Guinée, sous la pression de la fédération des paysans du Fouta Djallon, le gouvernement a interdit les importations de pomme de terre pendant la période de récolte pour protéger la filière locale. Au Sénégal, les agriculteurs essaient d’en faire autant pour les oignons ». Ces initiatives sont encore trop rares. L’aide alimentaire joue souvent contre les producteurs locaux. « Elle arrive en ville, jamais en campagne, et concurrence la production locale. Il cite, à titre d’exemple, le riz de basse qualité, en provenance du Pakistan ou de Thaïlande ou les oignons Néerlandais qui concurrencent les filières africaines. Il ne faut pas empêcher les échanges, mais il faut faire attention ». Sous peine d’exporter les crises. Le président d’Agronomes sans frontières s’avoue relativement désarmé dans ce domaine. Dans l’immédiat, il aimerait juste créer son prototype de chambre froide solaire… Bernard Laurent


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