Dans un contexte mondial actuellement soumis à une forte pression de récolte, les prix bas actuels devraient inciter à plus de consommation.
Le prix du blé sur le marché américain, qui avait progressé de janvier à mai, est revenu à ses niveaux de début d’année. Alors que le contrat septembre du SRW* avait atteint 7.5$/boisseau (198 €/t), le 6 mai sur la bourse de Chicago, il vient de toucher un plancher de 5.56$/boisseau (150 €/t), un recul de 26%…le ramenant à la case départ ! Cet ajustement est censé redonner un peu de compétitivité à une origine US trop chère dans un contexte mondial actuellement soumis à la pression de récolte. Cela ne semble toujours pas suffire et les investisseurs de court terme continuent à jouer la céréale à la baisse.
Pourtant, les USA ne sont pas de nature à être très agressifs à l’aune de cette nouvelle saison. Le blé à souffert de conditions particulièrement mauvaises tout au long de son cycle végétatif et seulement 30% sont jugés dans un état bon à excellent. La production est attendue en recul de 6 à 7 Mt et les exportations devraient baisser de 5 à 6 Mt selon l’Usda. Les États-Unis vont donc aligner pour la deuxième saison consécutive un bilan nettement plus tendu que la moyenne des 10 dernières années. Au niveau mondial, le bilan prévisionnel est aussi loin d’être exceptionnel. La hausse des stocks de report d’environ 20 Mt compenseront la baisse de 9 Mt de la production et la hausse de 7 Mt de la consommation, telles qu’estimées par le Conseil International des Grains. Pour l’instant, c’est donc la mise en route des moissonneuses batteuses, mais aussi les conditions très favorables au développement du maïs aux USA qui rendent le marché particulièrement baissier outre-Atlantique.
La Mer Noire rafle tout
Actuellement, la Russie et la Roumanie sont les plus compétitives et remportent le gros des affaires sur le marché mondial. L’Ukraine, bien qu’ayant moins de disponibilités à vendre (-1 Mt ?), va aussi se jeter dans la bataille. L’avantage monétaire et logistique (fret bon marché) dont profitent les Russes et les Ukrainiens va permettre de faire rentrer les devises nécessaires à leurs économies mal en point. Mais ils n’ont aucun intérêt à trop brader leur marchandise. D’une part, ils n’auront globalement pas plus à exporter que l’an dernier et moins de concurrence en face d’eux, et d’autre part leurs coûts logistiques intérieurs ont fortement progressé.
France, un prix lié à la stratégie et à la qualité
Au niveau français, les prix sont loin d’avoir dévissé autant qu’à Chicago. Le contrat « novembre » a perdu 10€/t en un mois (-5%) venant toucher les 182 €/t à Euronext. Le seuil des 180 euros/t constitue un point psychologique important à surveiller. Il s’agit du point bas des quatre dernières années, proche du coût de revient de nombreux acteurs (frais logistiques et marges d’intermédiaires inclus). En 13/14, le prix moyen spot du blé français sur Euronext s’est établi à 198,5 €/t, contre respectivement 248 €/t et 201 €/t, les deux saisons précédentes. Pour la saison qui démarre, le prix français dépendra moins du marché américain, que de l’agressivité des origines Mer Noire et de la stratégie des exportateurs hexagonaux. Pour l’instant, les opérateurs ne semblent pas pressés de marquer des affaires, attendant d’en connaître plus sur la qualité des récoltes. D’elle dépendra notre positionnement à l’exportation mais aussi en alimentation animale, dans les prochains mois.
En 2013/14, malgré un démarrage poussif, nous n’avons eu aucun mal à placer notre marchandise à l’exportation et cela pourrait bien se renouveler cette année, à moins d’une dégradation très forte de la qualité de la récolte. En effet, la demande mondiale est bien présente (Afrique du Nord, Turquie, Egypte, Moyen Orient, Indonésie, etc.) et sera contrainte par un recul des disponibilités chez les grands exportateurs cette saison. Celles-ci seront en baisse, essentiellement dans l’hémisphère nord où elles pourraient reculer de 13 Mt par rapport à la saison précédente. Le disponible exportable de l’hémisphère sud (Australie et Argentine en janvier, puis Inde en mars) ne devrait pas progresser de manière significative (+3 Mt ?). De la stratégie des opérateurs français (partir vite ou laisser passer les premières affaires) dépendra donc l’ajustement (ou non) des cotations d’Euronext au marché roumain et russe dans les prochaines semaines.
Enfin, ne perdons pas de vue des facteurs haussiers actuellement passés sous silence. Les rendements aux USA sont sans doute encore surestimés, et un ajustement est possible dans les prochains bilans. Les conditions météo ne sont pas optimales en Australie et au Canada. Le renchérissement des coûts logistiques en Ukraine est une réalité qui ne semble pas encore prise en compte. Le dossier russo-ukrainien est loin d’être refermé. La qualité des blés européens (notamment en Bulgarie, Italie, Est de la France, etc.) peut créer la surprise. Enfin, les prix bas actuels devraient inciter à plus de consommation. Patricia Le Cadre / Cereopa