L’âge d’or est révolu. Peu de nouveaux antibiotiques sortent des laboratoires. L’antibiorésistance devient un véritable enjeu dans le monde animal pour préserver la santé humaine.
« Il y a deux manières de mettre l’homme en danger. En rendant des bactéries pathogènes résistantes aux antibiotiques et en développant de la résistance chez les bactéries commensales (présentes naturellement dans l’organisme), notamment digestives », indique Jean-Yves Madec, directeur de recherche à l’Anses de Lyon, intervenant à la journée EcoAntibio de l’Ifip. Pour les pathogènes, on se souvient du Sarm (staphylocoque) transmis par le porc à l’éleveur aux Pays-Bas, en 2005, responsable de décès, ou des salmonelles qui deviennent résistantes aux céphalosporines de 3e génération, désormais écartées de la pharmacopée porcine (démarche volontaire de filière). Le développement de la résistance chez des bactéries commensales est tout aussi dangereux. « Un antibiotique atteint toute la flore digestive et sélectionne, de manière relativement invisible, des bactéries E. Coli résistantes ».
Les antibiotiques peuvent aussi se retrouver dans l’environnement à des niveaux suffisants pour développer les résistances, selon le chercheur. Cette résistance est répandue chez les bactéries détectées sur les viandes de volailles en GMS, consommées habituellement. « La moitié des échantillons sont porteurs de bactéries (E.Coli) résistantes à une ou plusieurs familles d’antibiotiques. Ce n’est pas un problème de santé car les poulets sont cuits avant consommation, mais c’est un indicateur de l’enrichissement de l’écosystème d’une flore commensale de plus en plus résistante ». Une partie résiste même à des antibiotiques critiques, c’est-à-dire les plus cruciaux utilisés en médecine humaine en dernier recours pour des pathologies graves : les céphalosporines et les fluoroquinolones.
Aliments médicamenteux en sursis
« Le tout préventif doit être abandonné rapidement », déclare Michel Le Dru, de la SNGTV (Société nationale des groupements techniques vétérinaires) et membre d’un groupe technique de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), chargé de donner un avis au législateur. Les aliments médicamenteux et les pâtes orales distribués en préventif aux porcelets sous la mère sont donc à proscrire. Les traitements préventifs des diarrhées néonatales par injection d’antibiotiques chez la truie également. Tout comme l’usage des fluoroquinolones, pour prévenir les maladies. « Il faut une inflexion progressive des modes d’utilisation pour pouvoir s’adapter ». Les alternatives substitutives ne sont pas nombreuses. Le vaccin contre l’œdème, récemment mis sur le marché, en est un rare exemple. En l’absence de nouveaux médicaments, la médecine de précision sera l’une des solutions. « Ajuster la dose au stade d’évolution de l’infection, en lien avec la taille de la charge bactérienne », indique Alain Bousquet-Melou, de l’école vétérinaire de Toulouse. Comment évaluer ce stade ? « Les différents capteurs, notamment de toux ou d’éternuement, installés dans les élevages, renseigneront vétérinaires et éleveurs. Il vaut mieux taper faiblement et précocement que fortement et tardivement ».
Interdictions aux Pays-Bas
Le groupe de travail préconise l’abandon de certaines pratiques, pas leur interdiction. « Les démarches collectives et volontaires sont plus efficaces car il ne faut pas laisser les vétérinaires et les éleveurs désemparés devant une maladie », reprend Michel Le Dru. Le législateur néerlandais a été radical : les ventes d’aliments supplémentés sont interdites. Est-ce possible en France ? « Même sans légiférer, nous pouvons progresser ». Le changement des pratiques est déjà perceptible en production porcine, selon le praticien qui avertit : « Aujourd’hui, la menace est virale bien plus que bactérienne, mais il faut faire les efforts relatifs à l’antibiorésistance pour pouvoir dire qu’on a fait le job ». Le groupe technique de l’Anses a rendu son rapport, la balle est dans le camp des politiques. Bernard Laurent
L’avis de Geneviève Motyka, CNAMTS (assurance maladie)
La France est l’un des plus gros consommateurs européens avec 30 % de plus que la moyenne. La différence entre pays est surtout une question de culture, plus que de remboursements, avec bien moins de consommation dans les pays nordiques. La consommation nationale a baissé de 9 % entre 2002 et 2012 mais a augmenté de 3 % ces 5 dernières années. Le plan d’alerte 2011-2016 a pour objectif une réduction de 25 % de la consommation. À mi-parcours, on en est loin. Nous menons des campagnes de sensibilisation des médecins à l’enjeu des résistances bactériennes. Nous leur apportons des outils utiles pour la prescription.
La convention médicale, en œuvre depuis 2 ans, prévoit une rémunération annuelle supplémentaire en fonction de l’atteinte d’objectifs précis (nombre de traitements antibiotiques pour des patients âgés de 16 à 65 ans sans affection de longue durée). Résultat : les prescriptions commencent à diminuer, surtout en Rhône-Alpes et dans l’Ouest. Nous sensibilisons aussi les patients (la première campagne de communication : les antibiotiques, c’est pas automatique, a bien fonctionné, la seconde beaucoup moins). D’autres pistes sont étudiées comme la vente des antibiotiques à l’unité.