La récolte mondiale du blé est affectée par la qualité et engendre deux marchés très distincts cette saison. En France, les analyses sont de rigueur avec notamment l’indice d’Hagberg qui segmente le marché.
Alors que sur la deuxième partie de campage 13/14, la cotation du blé meunier sur le marché à terme parisien avait évolué dans une fourchette assez étroite comprise entre 190 €/t et 210 €/t, elle s’est ancrée dès le mois d’août autour d’une zone pivot de 170 €/t. Au-delà de cette baisse de prix sur la nouvelle campagne, c’est surtout l’écart de prix entre la qualité meunière et fourragère qui a fortement évolué. Nettement plus disponible cette saison, le blé destiné à l’alimentation animale décote de près de 30 €/t dans certaines régions, une prime nettement plus basse que la saison dernière.
Deux marchés, deux logiques
Avant de zoomer sur le marché français, et ce qu’il nous réserve, il faut resituer le contexte mondial dans lequel s’inscrit la campagne en cours. Les stocks mondiaux de blé, mais surtout de maïs, devraient encore augmenter cette saison. En effet, l’été s’est déroulé de manière quasi-idéale aux USA et dans l’ensemble de l’hémisphère nord pour la céréale fourragère. En ce qui concerne spécifiquement le blé, l’offre mondiale (production et stocks) progresse de 11 et 18 Mt selon les sources, nettement moins que le bond de l’année précédente (+36 Mt). Face aux volumes disponibles, c’est surtout le potentiel de consommation qui influence les prix. En 13/14, l’utilisation avait progressé de 19 Mt selon le Conseil International des Grains contre +11 Mt attendu cette saison par le même organisme. Car si la quantité est au rendez-vous, la qualité meunière est en recul aussi bien en Europe (France notamment) qu’aux USA et même en Russie. Ces pays exportateurs auront donc moins de blé meunier à écouler et se retrouverons face à un maïs qui n’a jamais été aussi disponible sur le marché mondial, pour leur surplus de blé fourrager…
Nous aurons donc deux marchés du blé très distincts cette saison au niveau mondial. Un blé de qualité meunière qui n’a pas vocation à être bradé car peu disponible, et un blé fourrager, largement challengé par le maïs, notamment en Europe. Sur le marché français, les choses se compliquent un peu plus, avec une forte hétérogénéité qualitative (notamment sur l’indice de Hadberg*) et un blé « à la carte » en fonction des clients. Le travail des organismes stockeurs et des négociants va donc être particulièrement affuté, mais loin d’être impossible. Pour répondre aux différents cahiers des charges, il faudra donc particulièrement contrôler, trier et mélanger (quand le contrat l’autorise).
France, en manque de repères
Les spécificités du contrat blé meunier Euronext sont les suivantes : 76 de PS**, 15 % d’humidité, 4 % de grains brisés, 2 % de grains germés et 2 % d’impuretés. Si aucune référence au taux de protéines, ni au temps de chute de Hagberg n’y est faite, ces deux critères sont pourtant essentiels pour la meunerie. Cela pose un sérieux problème cette année, vu l’hétérogénéité des blés récoltés. De fait, du blé 76/15/4/2/2 avec un temps de chute de Hagberg de 100 secondes est théoriquement conforme au contrat Euronext mais n’est pas meunier, puisqu’il doit atteindre de 180 s sur le marché local à 225 s en Algérie (très gros client à l’exportation). Il est donc fortement décoté sur le marché physique. À l’inverse, un blé meunier « exportable » coûte désormais plus cher à Rouen que le contrat Euronext, ce qui est historiquement l’inverse. Aujourd’hui, le marché à terme parisien n’est donc plus la référence pour le marché meunier, sans devenir celle de l’alimentation animale. À l’heure où les contrats en prime sont devenus la règle, c’est un problème de taille pour les opérateurs, obligés de naviguer à vue. ** Poids Spécifique : masse d’un hectolitre (ex : 76 kilos de blé dans un hectolitre)
La Mer Noire fait le prix
L’Europe et la France ne devraient avoir d’autres véritables concurrents sur le marché export, que la Russie et l’Ukraine. Si la CEI affiche une progression de 7 Mt de son offre, son disponible exportable ne devrait cependant pas augmenter cette saison (le recul du Kazakhstan et de l’Ukraine compensant l’augmentation russe). Cette zone d’exportation sera cependant en première position mondiale, devant les USA et l’UE dont le poste export recule faute de munitions. Nos prix devraient donc s’aligner sur l’origine Mer Noire dans les prochains mois, plus que sur le marché US. Pour l’instant, la Russie et l’Ukraine sont très actives sur le marché mondial, sans pour autant brader leur marchandise grâce à un avantage sur le fret méditerranéen et sur leurs devises. Cela est sans doute une explication importante au fait que le prix du blé français ait moins dévissé que son homologue américain cet été.
L’extension possible du conflit russo-ukrainien sur la Mer d’Azov va orchestrer non seulement le timing des ventes des deux protagonistes, mais aussi les chasses gardées des uns et des autres en fonction des différentes sanctions commerciales. Si la Russie exerçait un embargo au-delà de 26,9 Mt de grains exportés, cela aurait un impact haussier sur les marchés. Les estimations actuelles portent en effet entre 30 et 33 Mt d’exportations de céréales selon les sources, dont 22,5 à 23,5 Mt de blé. Quoi qu’il en soit, la forte compétition sur le marché meunier exercée par les origines Mer Noire devrait ralentir en deuxième partie de campagne et laisser plus d’opportunités au blé français. Quant au blé fourrager, sa concurrence avec le maïs devrait rester très forte tout au long de la campagne. Patricia Le Cadre, Céréopa www-vigie-mp.com
* Cet indice, exprimé en secondes, a pour objet d’évaluer l’activité enzymatique d’un blé et au final la qualité de la farine.