Dans les prochaines années, les professionnels de la filière laitière bretonne misent sur un scénario s’appuyant sur des marchés dynamiques et libéralisés. Avec ses perspectives et ses risques.
Lors d’une rencontre à Rennes le 11 septembre, à l’initiative de la Chambre régionale d’agriculture, plusieurs responsables sont revenus sur « les conditions de la réussite pour produire et transformer du lait en Bretagne en 2020. » On le sait et Didier Loiseau du Cilouest l’a répété en préambule, « la consommation de produits laitiers devrait augmenter fortement dans les pays émergents dans les prochaines années. » La FAO annonce notamment des progressions à deux chiffres, voire trois comme en Inde, dans de nombreuses zones du monde. Parallèlement, le responsable précisait « qu’il y a une véritable opportunité d’avenir pour le Grand-Ouest tant le déficit laitier de l’Afrique et de l’Asie devrait se creuser dans les années à venir. Alors que les perspectives de progression de la production mondiale sont actuellement de l’ordre de + 2 % par an. »
Récupérer le milliard de litres de lait perdu en 1984
L’Europe qui produit 27 % du lait sur la planète (estimation FAO) a déjà démarré : « la livraison a augmenté de 5,4 % sur le premier semestre 2014. » Pour participer au mieux à ce mouvement porteur, les spécialistes bretons avaient proposé, il y a 18 mois, 5 scénarios prospectifs permettant d’appréhender l’évolution de la filière laitière. Après présentation et débat dans les départements, les responsables se sont arrêtés sur l’une des pistes. « Le scénario retenu est celui de marchés dynamiques et libéralisés, précisait Marcel Denieul, chargé de l’économie des filières à la Chambre régionale. Avec un objectif de production de 6 milliards de lait apportés par 9 000 exploitations de 90 vaches livrant 665 000 L de moyenne, en conservant tout de même une grande diversité de taille de structures. » Rappelons que la Bretagne du lait aujourd’hui, c’est 5 milliards de lait livrés par an pour 13 000 exploitations de 75 ha de moyenne, 335 000 L de quota et 50 vaches. Marcel Denieul insistait également sur « l’augmentation de 50 % de la main-d’œuvre salariée », soit plus de 1 200 postes créés.
Face aux sceptiques se demandant « où va-t-on produire tant de lait supplémentaire », Jean-Paul Signé, économiste coordinateur du plan agri et agro pour la Bretagne, rappelait que l’arrivée des quotas en 1984 avait été caractérisée par une baisse de production laitière de 17 %. « On récupèrerait le milliard de litres perdus à l’époque. » Avant d’aller plus loin : « Cela représente grossièrement 100 000 vaches laitières à 10 000 kg. Dans notre région de polyculture-élevage, il va y avoir des ajustements entre le lait et d’autres filières en décroissance. »
La dynamique laitière en relais des autres filières
Et Marcel Denieul d’enchaîner : « Le scénario est compatible avec les contraintes environnementales. Mais il ne faut pas se mentir, beaucoup de poulaillers sont vides, abattoirs et accouveurs sont sinistrés… » Sous-entendant que l’élevage laitier pourrait prendre le relais en terme de dynamique « après avoir tourné en rond dans un monde de quota et de Zes. » Dans l’assemblée, Vincent Pennober de la Confédération Paysanne n’adhérait pas à l’étiquette « d’entrepreneurs laitiers » dont parle le Plan lait 2020 présenté, « alors qu’un éleveur n’a même pas la liberté de changer de laiterie. » Il se méfie également d’une tendance à voir tout en rose : « Avec de bonnes conditions climatiques chez nous et la sécheresse ailleurs, notre export se développe. Mais n’oublions pas 2009 si les marchés se retournent… »
La brique de lait UHT français à 2 € le litre en Chine
Le Finistérien Guy Le Bars, président de Laïta, concédait alors que « le marché français est à la traîne puisque, face à la grande distribution, il n’a pas pu profiter de la conjoncture positive des 18 derniers mois. » Mais il reste malgré tout optimiste : « La France est partie plus tard que les autres pays, mais nous accélérons. Le mois dernier, en Chine, je constatais un prix de revient à 500 € / 1 000 L dans des fermes de milliers de vaches… Et un lait français vendu à 2 € la brique UHT chez Carrefour. La filière bretonne a donc de belles perspectives. » Avant d’ajouter, « prenons conscience de la chance d’être sur un marché mondial en croissance de 2 % par an, soit l’équivalent de 75 % de la collecte française. » Olivier Auffray, producteur de lait à Pacé (35) était du même avis, soulignant que « c’est l’une des premières fois qu’il y a de la lisibilité, avec un vrai projet. » Il poursuivait en insistant sur la « rareté » des secteurs où il y a une demande positive. « L’Europe est proche d’une déflation à la japonaise, les taux bancaires très bas sont favorables à l’investissement, l’euro fort va devoir baisser en faveur de l’export… Tout cela devrait même donner envie à certains de redevenir producteur de lait à plein temps alors que d’autres filières souffrent. Mais attention, désormais, il n’y a plus de prix de revient, seulement un prix d’équilibre. Pour faire ce lait, il faudra donc bien maitriser les investissements dans les exploitations. » Toma Dagorn
L’avis de Christian Couilleau, Directeur général du groupe Laïta
Il faut s’intéresser à la conduite du changement. Car le plus dur sur le plan humain est de faire évoluer la représentation mentale. On entend sans cesse qu’il faut « gérer la volatilité. » Non, il faut gérer « avec » la volatilité. Désormais, il y aura, élément nouveau, une alternance de périodes de soleil et d’intempérie sur le marché du lait. A l’installation des jeunes, devra-t-on raisonner sur le prix avec une moyenne ou un écart-type ? Plus que la marge, la question du futur se portera sur la variabilité de cette marge. En période de crise, il faudra avoir anticipé à quelle vitesse une structure va dans le mur. Les banquiers doivent prévoir des lignes dans les projets pour gagner en souplesse sur la trésorerie quand on est dans un pied de cycle du marché.