Les travaux de recherche pour réduire ou détecter les odeurs des mâles entiers se multiplient en Europe. Les enjeux concurrentiels conduisent à la confidentialité des études privées des leaders du secteur.
« La date de 2018 pour l’arrêt total de la castration semble peu réaliste », estime Patrick Chevillon, de l’Ifip, intervenant au Space. Les travaux de recherche, financés par l’Union européenne, pour détecter les odeurs indésirables n’ont, pour l’instant, généré que des espoirs vite douchés. Trois méthodes de détection, sélectionnées par les professionnels de la filière, sont passées au banc d’essai. La première, assez surprenante, a fait « pschitt ». Les guêpes, conditionnées en laboratoire pour reconnaître les odeurs, se sont fourvoyées en condition réelle, à l’abattoir… La seconde, moins saugrenue, n’a pas eu plus de succès. La spectrométrie de masse ultra rapide, technique d’analyse permettant de détecter et d’identifier des molécules d’intérêt, s’est révélée inutilisable en abattoir. La troisième, utilisée un peu partout en Europe, est toujours décriée pour son manque de fiabilité. Le nez humain a ses limites et fait prendre un risque à toute la filière. Celui de voir le consommateur se détourner de la viande de porc.
Tests de consommation en aveugle
Comment ce consommateur perçoit-il réellement ces odeurs ? Des chercheurs européens, dont ceux de l’Ifip, travaillent sur le sujet, dans le cadre du programme Compig. Des tests de consommation, en aveugle, ont été réalisés en Allemagne et au Danemark. Ces tests ont ensuite été déclinés, de manière simplifiée en France, en Pologne, aux Pays-Bas et en Italie. Puis dans des pays tiers, où l’Europe exporte ses produits comme la Chine et la Russie. « Des consommateurs devaient exprimer leur préférence sur des viandes contenant plus ou moins d’hormones responsables des odeurs (scatol et androsténone), toujours en comparaison avec des viandes témoins saines ». En complément, 130 consommateurs, dans chaque pays, ont été soumis au test des bandelettes, imprégnées ou non, des hormones indésirables.
L’insatisfaction de l’ensemble des consommateurs est mise en évidence pour des taux très faibles de scatol. Certaines personnes sont, par contre, insensibles à l’androsténone. « Ces deux hormones sont, quand même, de bons indicateurs ». La présence de scatol dépend de facteurs alimentaires (teneur en fibres qui oriente la flore microbienne), de l’ajeunement ou de la propreté. Pour les deux hormones, l’influence de la génétique est importante. Certaines races ou lignées, moins grasses ou moins précoces sexuellement, présentent peu de risques. La différence entre lignées varie de 5 % de viandes odorantes à 25 %. Les marges de progrès sont donc importantes. La sélection génomique laisse entrevoir de réels progrès.
Un mix de solutions
En marge de ces programmes de recherche européens, chaque pays oriente ses propres travaux en fonction de ses intérêts. Les Espagnols, plus gros producteurs de mâles entiers, qui exportent 50 % de leur production dont une grande partie sur la France, souhaitent former les abatteurs à la technique du nez humain pour écarter les 5 % de viandes très odorantes qu’ils estiment produire. Ils développent un vaste programme de recherche sur la cuisson et la transformation des viandes à risque. « Ils considèrent que la bonne orientation des viandes est la clé du succès. A l’export, ils sont capables de répondre aux demandes de viandes de femelles ». Les instituts allemands travaillent sur la détection à l’abattoir, dans le plus grand secret. « Ils travaillent aussi sur la préparation spécifique des mâles à l’abattage (temps de transport, attente avant abattage, anesthésies). Ils expertisent les voies d’utilisation des viandes odorantes en charcuterie ».
Les autres pays ne sont pas en reste et leurs travaux sont également axés sur l’alimentation, la détection ou la génétique. Les leaders privés de la filière européenne ne communiquent pas mais s’efforcent de trouver la solution, d’autant plus que les poids lourds de la grande distribution mettent la pression. On s’oriente, du moins pour 2018, vers un mix de toutes les solutions déjà évoquées. Chaque maillon de la filière faisant sa petite avancée qui permettra, à moyen terme, de réduire le nombre de mâles à risque. La solution miracle, qui consisterait à sexer la semence, comme en production bovine, n’est pas encore efficiente chez le porc. Les organismes de sélection et d’insémination, souvent multi-espèces, y travaillent, là encore en toute discrétion…
Il nous faut une garantie de détection à 99 % des viandes à risque avant d’envisager l’arrêt de la castration. Actuellement, aucune méthode ne le permet. Le nez humain n’offre pas cette garantie. Il y a une autre condition à l’arrêt de la castration. Une fois trouvée la méthode fiable de détection, il nous faut trouver des débouchés ou circuits commerciaux pour les viandes odorantes, sans pénaliser l’éleveur au niveau de son prix de vente. Si ces deux conditions ne sont pas réunies, la castration des porcs devra être poursuivie au-delà de 2018, avec des procédés d’élimination de la douleur pour les porcs. Du reste, le décret le prévoit (Arrêt de la castration en 2018, sous conditions).Paul Rouche, SNIV (syndicat national industrie des viandes)