Lait : quand le versant ubac de la volatilité se profile

export-cour-francais-lait - Illustration Lait : quand le versant ubac de la volatilité se profile

L’export, seule voie de développement possible, a son côté pile et son côté face. Il y a quelques mois, les prix y étaient très élevés portant l’ensemble des cours français. Cet automne, ce pourrait être l’inverse.

L’inquiétude est manifeste sur les chantiers d’ensilage, dans les stabulations laitières, dans les réunions… La chute du prix du lait qui semble se profiler sur la fin 2014 fait trembler, alors que les trésoreries ne sont pas toutes au beau fixe dans les élevages de l’Ouest. « Nous sommes entrés dans une zone de forte turbulence », signalait Michel Nalet, responsable relations extérieures Lactalis, lors d’une conférence au Space.

« Le contexte géopolitique actuel ne doit pas amener les industriels comme la grande distribution à sauter sur l’occasion pour tirer le prix du lait à la baisse », déclaraient récemment les responsables FDSEA et JA 35. Et de fait, depuis l’embargo russe en août 2014, les cours français sur les poudres 0 % et 26 % et le beurre sont en chute libre. Mais la baisse était déjà amorcée sur le premier semestre 2014. Pour Michel Nalet, l’embargo russe n’est pas le seul élément à prendre en compte. « En France, en Europe et dans le monde, la production s’est accrue. L’offre est actuellement supérieure à la demande mondiale, ce qui explique la forte baisse des cours “beurre-poudres“, certains acteurs profitant de la situation sur des marchés très volatils. » Les marchés à l’export sont globalement porteurs mais restent étroits.

Trois acteurs majeurs à l’export

« Les échanges internationaux ne représentent que 7 % de la production mondiale en 2013, avec trois acteurs majeurs qui se dégagent : la Nouvelle-Zélande qui fournit 32 % du marché mondial, l’UE (24 %) et un nouvel exportateur : les États-Unis (11 %). La volatilité va perdurer sur ces marchés où les acteurs ne régulent pas ou peu leur offre », précise Véronique Pilet, chef du service Économie du Cniel.

Pour faire face aux difficultés annoncées, Michel Nalet demande de « relever le prix d’intervention, c’est un outil qui existe. Nous devons réagir avant que les prix baissent. » Mais les outils d’intervention de l’UE, inscrits dans une stratégie libérale, restent bien maigres. « De nouvelles solutions sont à imaginer pour assurer l’équilibre des marchés européens et mondiaux », note Gérard You, économiste à l’Institut de l’élevage. L’Europe ne semble toutefois pas prête à entailler sa stratégie libérale. « La Commission européenne a tout fait pour décrédibiliser le projet Dantin d’une régulation volontaire indemnisée, soutenue par l’EMB et même par la FNPL, en affirmant qu’elle disposait  désormais des outils suffisants pour gérer les crises via l’intervention », a récemment écrit André Pflimlin, expert pour l’EMB (European Milk Board).

Contractualiser, massifier

Alors que doivent faire les producteurs de l’ouest de la France ? Accepter de laisser la marée laitière mondiale, au gré de ses flux et reflux, fixer les prix ? Ils ne semblent pas avoir trop le choix. Malgré tout, la contractualisation d’une part, et la massification de l’offre laitière via les OP et AOP (Associations d’organisations de producteurs) d’autre part sont des solutions permettant de lisser partiellement les à-coups du marché. Une autre piste serait d’améliorer la transmission des variations de prix de la production à la distribution française, cette dernière étant beaucoup plus réactive à la baisse qu’à la hausse.

Besoin de lisibilité

Fournisseur d’une laiterie qui aura sa propre stratégie d’entreprise dans un avenir sans quotas, le producteur laitier aura besoin demain de lisibilité, de connaître clairement l’orientation de l’industriel et la manière de s’inscrire dans cette orientation. Face au risque pris à l’export, il ne voudra pas non plus continuer à être la seule variable d’ajustement.

« Nous nous sommes demandés si nous devions aller sur le marché mondial », précise Pierre Demerlé (directeur du service production lait chez Terrena). « Une enquête réalisée auprès des éleveurs sur la zone de collecte Laïta a montré l’attente de pouvoir produire 14% de volume en plus pour répondre aux opportunités de marchés. Nous avons donc décidé de mettre en place un volume d’opportunité qui pourra évoluer dans le temps, adossé à un prix B fonction de la valorisation sur les nouveaux marchés. Nous annoncerons le volume possible en début de campagne. Pour conforter les éleveurs dans leurs orientations, nous leur demandons de réaliser une étude technico-économique, avant l’obtention de volumes supplémentaires. » Une autre façon d’appréhender l’export. Agnès Cussonneau

L’avis de Katrine Lecornu, éleveur laitier en Normandie et présidente de EDF*

On ne peut pas parler de crise laitière qui se dessine. C’est un autre versant de la volatilité, donnée qui fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Mais plutôt que de se fixer sur les prix, les éleveurs devraient travailler davantage leurs coûts de production dans l’objectif de dégager une marge moyenne satisfaisante à l’échelle de plusieurs années. Dans notre réseau européen, nous observons des fermes rentables dans tous les pays quels que soient les atouts et faiblesses locales. Courir le plus vite n’est pas le plus important, il faut plutôt savoir pourquoi on court… »

*(European Dairy Farmers) compte environ 500 membres dans toute l’Europe.


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