L’après-quotas devrait créer un appel de main-d’œuvre salariée dans les ateliers laitiers bretons d’ici 2020. Une profonde mutation.
En septembre, le Cilouest et la Chambre d’agriculture de Bretagne présentaient leur « Plan lait 2020 », ou le scénario prospectif le plus probable aux yeux des responsables. Dans un horizon d’après-quotas, ils parient sur « des marchés dynamiques, libéralisés mais beaucoup plus volatils ». « Pour faire simple, on passe de 13 000 à 9 000 exploitations », commentait Jacques Jaouen, président de la Crab. « En moyenne, des ateliers plus grands produisant davantage de lait. » Cependant, tout le monde le martèle, plus de 40 % des chefs d’exploitation feront valoir leurs droits à la retraite dans les 10 ans à venir. L’étude régionale prévoit ainsi une augmentation de 50 % de la main-d’œuvre salariée dans les fermes laitières. « Soit 1 200 à 1 300 emplois créés d’ici 2020 », chiffrait-on à la tribune.
Les offres d’emploi sont plus nombreuses
D’ailleurs, le mouvement de fond semble bien parti, fait remarquer Julie Jacq de l’AEF 22 : « Dans le cadre de notre bourse de l’emploi, nous voyons déjà une augmentation des offres d’embauche en lait. Majoritairement des temps pleins pour des activités liées à l’élevage – traite, soins et alimentation des animaux- mais aussi pour des travaux de culture. Les recherches sont principalement sur des profils polyvalents. » Le Plan lait 2020 prévoyant la production d’un milliard de litres de lait supplémentaires en Bretagne, « ce serait dommage que cette ambition soit bloquée par la question de la main-d’œuvre alors qu’il y a beaucoup de chômage en France, relevait Hervé Thiboult, élu du collège salariés à la Crab. À côté des chefs de troupeau, les exploitations auront besoin de trayeurs quand beaucoup de travailleurs à temps partiel recherchent un complément d’activité. La question est comment mettre en relation la profession et cette ressource venant de l’extérieur, de la restauration, du service à la personne, du conditionnement des œufs… Les groupements d’employeurs doivent se rapprocher d’autres secteurs d’activité pour que les salariés pluriactifs n’aient qu’un seul et même interlocuteur administratif. Sans ça, cette main-d’œuvre ne mordra pas à l’hameçon, s’il faut rendre des comptes à plusieurs patrons à la fois. Alors qu’on licencie un peu partout, il faut faire savoir que des opportunités de carrière existent en élevage… »
Maillage local et transfert de compétences
Pierre-Yves Le Bozec, producteur laitier à Lanester (56) qui siège à l’AEF 56 confirme qu’il « faut développer un maillage local avec d’autres métiers des zones rurales. » Pour lui, aujourd’hui, « l’attractivité est en partie réussie. Le problème est plutôt sur le transfert de savoir : il faut un minimum de compétences techniques pour assurer le défi de la qualité du lait. Cela passera sans doute par des parcours de formation s’appuyant sur des sessions concises sur différentes thématiques : bonnes pratiques à la traite, repro… » Car dans les campagnes, tout le monde n’est pas prêt à lâcher du lest. Les remarques d’éleveurs bretons en disent long : « La traite, c’est un peu mon bébé », « J’aurais trop peur que le salarié connaisse mieux les vaches que moi », « Détection des mammites, cellules, risque inhibiteurs, observation des animaux… L’enjeu est trop important pour laisser n’importe qui dans sa salle de traite… »
Derrière le défi de trouver les volontaires, se cachent d’autres challenges : savoir déléguer, faire confiance, transmettre, communiquer, rationaliser le travail et mettre en place des protocoles pour que continuité et qualité du travail soient assurées. « Ce sujet est, en effet, capital », note Vincent Jégou, conseiller en production laitière à la Chambre d’agriculture des Côtes d’Armor. « Les ressources humaines seront le point clé de nos futures exploitations, pas encore familiarisées avec le salariat. » L’indicateur proposé par Benoit Roncin chez CerFrance l’illustre tout à fait : « On compte en moyenne 0,11 UTH par exploitation laitière dans les Côtes d’Armor. Et même sur un échantillon d’ateliers plus grands, produisant en moyenne 710 000 L de lait, le salariat ne représente que 0,2 UTH. » La route est donc encore longue.
Trouver la perle rare et la choyer
Dans le Finistère, Katrien Chupin a travaillé comme « agent de traite » pendant 4 ans sur une exploitation voisine de celle de son mari trop serrée pour lui offrir un temps plein. D’origine belge, elle note « que la France est encore dans un modèle familial où la main-d’œuvre s’intègre moins bien qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas où on sait motiver plus à long terme les employés. » Il faudrait « un changement de mentalité vers un éleveur à la fibre gestionnaire qui manage ses salariés. » Elle insiste aussi sur le fait qu’employeur et employé doivent être sur la même longueur d’onde : « Dans mon expérience, j’ai apprécié de partager avec mon patron la même philosophie ; le plaisir du travail bien fait et l’importance du bien-être des animaux. Quand il y a confiance, reconnaissance, complicité et travail d’équipe, la traite n’est pas une astreinte. » Voilà pourquoi il faut continuer « à faire connaître le métier, mettre en avant la technicité, la modernité et les évolutions technologiques. Et travailler sur l’accueil des salariés avec les primo-employeurs qui n’ont pas l’habitude de travailler avec du personnel », ajoute Julie Jacq. Pour conclure, Katrien Chupin lâche un conseil : « Quand on a trouvé la perle rare, il faut la choyer. Les porchers le savent : ils ne parlent jamais de leurs bons salariés… » Toma Dagorn
L’avis de Véronique Boyet, Crab, coordinatrice du Plan lait 2020
Le débat sur les agents de traite renvoie aux agents de pesée du contrôle laitier. Ces derniers travaillent sous contrat à temps partiel et beaucoup sont également salariés dans le secteur des services à la personne. Ils sont un véritable lien du tissu rural. Dans les exploitations laitières, il y a peut-être un métier à inventer en n’oubliant pas que le responsable de la traite devra être capable de détecter une mammite, de suivre un protocole de traitement, de rendre compte… Reste que les éleveurs devront aussi savoir faire confiance à quelqu’un qui n’est pas du métier.