Jean-Marc Camus et Corinne Rousseau, producteurs de cidre bio à Planguenoual dans les Côtes d’Armor, ont choisi de faire appel à des prédateurs naturels pour lutter contre les parasites de leurs pommiers. Mésanges, chauves-souris et poules sont mises à contribution. Un pari pour limiter au maximum le recours aux traitements par pulvérisation, tout en apportant de la vie dans le verger.
À force de patience, Corinne Rousseau et Jean-Marc Camus ont pu observer qu’ils favorisent une forme de complémentarité entre les espèces qu’ils sollicitent pour limiter les populations de parasites. Un exemple entre mésanges, ânes et poules… Les mésanges s’installent dans des nichoirs fixés aux troncs des pommiers et détruisent par milliers des larves de papillons. « On a aussi remarqué qu’elles prélèvent du poil sur le dos de nos ânes pour confectionner leur nid ». Cela dit, que viennent faire les ânes dans cette croisade antiparasitaire ? « Au printemps, on les met à pâturer dans le verger parce que leur simple présence offre à nos poules, amatrices d’anthonomes (autre redoutable parasite du pommier), une sécurité supplémentaire contre les chiens ou les renards… ». CQFD.
Quand ils se mettent à parler de leurs pommiers et de leur lutte contre les parasites, Corinne et Jean Marc sont intarissables. Bientôt dix ans que ce couple a repris une ferme cidricole de Planguenoual. Reconversion à l’aube de la quarantaine… Corinne, ingénieur des techniques agricoles, a d’abord fait carrière dans les services consulaires : conseillère en production laitière, suivi d’agriculteurs en difficulté, mise aux normes de bâtiments d’élevage, avant de se voir confier la coordination d’actions sur la reconquête de qualité des eaux. Jean-Marc, lui, était informaticien et a dû suivre une formation de cidrier arboriculteur en Normandie. « Mes missions devenaient de plus en plus administratives, se souvient Corinne, elles m’éloignaient du terrain. Et puis avec Jean-Marc, on voulait changer de vie ». C’est désormais chose faite : le couple produit du cidre et un jus de pomme bio déjà plusieurs fois médaillés à des concours régionaux.
Dénicheuses de cocons…
Cet après-midi, Corinne pose quelques nichoirs à mésanges. Les derniers d’une série fabriquée par les élèves d’un centre médicoéducatif de la Manche. « On en est à cent nichoirs, souligne-t-elle, soit un peu moins de dix par hectare de verger ». Une infrastructure hôtelière destinée à accueillir des mésanges bleues ou charbonnières. Ces passereaux légers et acrobatiques traquent inlassablement les insectes cachés dans les arbres. À leur tableau de chasse figurent plusieurs espèces de chenilles défoliatrices (arpenteuses ou tordeuses), mais elles sont aussi friandes de la larve du carpocapse, ce papillon de nuit qui pond ses œufs sur les pommes et les rend véreuses. Dans un verger, les mésanges peuvent en détruire 90 %. C’est au stade de cocon avant la métamorphose en papillon (courant avril / mai), qu’elles les dénichent et les mangent, évitant ainsi une ponte de plus sur les fruits… Car une fois l’œuf éclos, la chenille du carpocapse pénètre rapidement le fruit et il est trop tard !
« Malheureusement, l’aide des oiseaux ne suffit pas. On doit continuer à traiter les pommiers à la carpovirusine, un insecticide bio-sélectif s’attaquant à la chenille juste avant qu’elle ne pénètre le fruit. Certes, le traitement est sélectif, mais il est des plus complexes à mettre en œuvre. Pour savoir quand traiter, il faut d’abord piéger des papillons mâles en quête de femelles, puis faire des relevés de température de l’air et des calculs pour définir avec précision le moment où il faut pulvériser, soit 24 h avant l’éclosion générale ! »
Un vrai travail d’horloger
Les producteurs le reconnaissent volontiers : « Il nous est difficile de mesurer l’impact réel de nos auxiliaires naturels sur les populations de parasites. Cela ne nous empêche pas de continuer à faciliter leur installation dans le verger. Ainsi, pour lutter contre le carpocapse, on a également installé des reposoirs pour chauves-souris, grosses consommatrices d’insectes nocturnes… ».
« La poule et l’anthonome »
Tandis que Corinne fixe le tout dernier nichoir, Jean-Marc frappe les branches de plusieurs pommiers avec un bâton. Dans un parapluie, il récupère sous chaque arbre, bon nombre des insectes qui s’y promènent. Parmi eux, l’anthonome, l’autre terreur des vergers. Ce charançon insère son oeuf sous les écailles du bourgeon. Après éclosion, les larves se nourrissent des pièces florales pouvant ainsi réduire de 80 % la production du pommier. Cette fois, ce sont des poules de race Java, gambadant au milieu des fruitiers, qui ont été missionnées pour se délecter de la bestiole. Les poules becquettent les anthonomes à même le sol au moment où ces derniers quittent leur abri (au sortir de l’hiver) ou quand ils redescendent des arbres après y avoir pondu. L’expérience a débuté en 2013, en partenariat avec la Chambre d’agriculture des Côtes d’Armor. « On a installé une dizaine de poules sur un hectare de verger, explique Jean-Marc. Elles disposent d’un poulailler dontje peux programmer l’ouverture de la porte pour les protéger des prédateurs (renards, fouines…). À terme, si cela s’avère efficace, on installera un poulailler par hectare ».
Ces poules doivent permettre de limiter les traitements à base du pyrèthre, autre insecticide naturel qui se dégrade à la lumière en une journée. « L’inconvénient, c’est qu’il n’est pas sélectif et détruit tous les insectes, mêmes les auxiliaires comme la coccinelle ! C’est pourquoi, je veille à traiter le verger secteur par secteur en fonction de l’état d’avancement des bourgeons et selon les variétés de pommiers. Ainsi, les insectes des secteurs non-traités peuvent recoloniser rapidement la partie du verger qui vient de l’être », rassure Jean-Marc. Pierre-Yves Jouyaux
Cidrerie de la Baie
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