Grignoté par les importations allemandes, hollandaises et belges le marché national de la volaille de chair doit mettre les moyens pour reconquérir les tables françaises.
« La France est la championne du monde dans les gammes de produits de volailles. Cette diversité des productions et des présentations constitue une force de notre aviculture. Elle se révèle aussi être une contrainte dans certains segments de marchés comme les produits d’entrée de gamme alimentés par le poulet standard ». C’est le constat, partagé par toute la filière, qu’a dressé Jean-Michel Schaeffer, administrateur à la Confédération française de l’aviculture (CFA), lors de son congrès annuel à Nantes le 30 octobre.
Aujourd’hui, la part des importations européennes dans la consommation nationale de poulet est de plus de 40 %. Nos voisins allemands, hollandais et belges en sont les principaux acteurs. « On se trompait lorsque l’on pensait que notre principal concurrent était le Brésil. Ces importations représentent trois millions de poulets par semaine dont la moitié en frais. Ce qui touche directement à notre métier d’industriel de la volaille », rapporte Denis Lambert, P.-D.G. de LDC.
De très bonnes performances techniques en Belgique
« La filière poulet se porte très bien en Belgique. Les 20 dernières années ont été très rentables même pour les producteurs. On exporte de plus en plus surtout en Europe et particulièrement en France », s’amuse l’industriel belge de la volaille Patrick Vanden Avenne. Selon lui, le secret des Belges réside dans leur modèle d’intensification durable. « Nous avons créé un dialogue permanent avec les pouvoirs publics, les associations de défense des animaux et la population pour faire accepter l’augmentation de la taille des élevages. » Les exploitations ont doublé en 10 ans et sont passées de 30 000 volailles à une moyenne de 60 000. La filière poulet en Belgique est en recherche constante d’économies d’échelle, ils ont donc tout misé sur le poulet standard. Cela a facilité et sécurisé les investissements pour les industriels de l’abattage et de la découpe. « Le poulet standard n’est peut être pas au goût des Français, mais il est au goût des Européens. C’est une viande de qualité qui est facilement utilisable dans la restauration et dans l’industrie. »
Les élevages se sont agrandis et c’est toute une filière qui pousse dans le même sens avec comme objectif l’amélioration des performances techniques. « Entre 1995 et 2013, le poids moyen des poulets est passé de 2 à 2,5 kg avec un âge à l’abattage qui diminue et passe sous la barre des 40 jours. Sur la même période, l’indice de consommation (IC) est passé de 1,752 à 1,589. Les bâtiments sont de plus en plus performants, économes en énergie. La génétique ne cesse de progresser, tout comme l’alimentation. Les éleveurs constatent des taux de mortalité en baisse et une diminution de l’utilisation des antibiotiques », rapporte Patrick Vanden Avenne. Pour comparer avec les performances en France, selon la dernière enquête avicole, on produit un poulet standard en 36,5 jours avec un poids moyen de 1,85 kg et un IC de 1,71. D’autre part, l’industriel précise que très peu d’éleveurs sont intégrés en Belgique et préfèrent un paiement au prix du marché.
Redéfinir les contrats d’intégration
« Je ne pense pas que l’on puisse reproduire le modèle belge à l’identique. Mais il est urgent que les contrats d’intégration soient revus. La technicité de l’éleveur, comme les performances des maillons intermédiaires (couvoir, fabriquant d’aliment) sont la base de la politique contractuelle. Cette évolution implique une transparence plus forte dans les deux sens : sur les performances potentielles des facteurs de production poussin et nutrition animale mais aussi les performances techniques de l’éleveur qui assure sa rémunération », affirme Michel Prugue, président de la CFA.
L’absence de revenus suffisant chez les éleveurs est la raison principale des faibles investissements réalisés ces dernières années. Sans oublier l’absence de perspectives claires sur la pérennité des filières et donc des exploitations. Conséquence un parc bâtiment vieillissant avec une moyenne d’âge de 22 ans lorsque c’est à peine 10 ans en Belgique. Xavier Beulin, président de la FNSEA, pointe les difficultés liées à l’administration en France : « On dit aux jeunes qu’il y a du potentiel. Mais dans notre pays il faut un minimum de trois ans pour faire aboutir un projet d’installation ou d’agrandissement alors que chez nos voisins belges ou allemands un an suffit. »
L’Etat et les régions annoncent un plan de soutien aux investissements de 200 millions d’euros par an sur la période 2014-2020 afin d’accompagner la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles (toutes productions confondues). « 60 % du parc de bâtiments avicoles standards et certifiés doit être modernisé. Cela représente 5,5 millions de m2. » Nicolas Goualan
L’avis de Jean-Michel Schaeffer, Confédération française de l’aviculture (CFA)
Les distorsions de concurrence avec nos voisins européens (sociales, fiscales, réglementaires, environnementales, industrielles) pèsent très lourdement sur la compétitivité de la filière avicole française. Notre faiblesse tient à une accumulation de désavantages plus ou moins importants. L’étude réalisée en 2012 par AND et Itavi cite : le niveau des taxes, les coûts de main-d’œuvre, les relations difficiles et incertaines avec l’administration, les contrats d’élevage, un manque de coordination verticale et de raisonnement global, l’immobilisme des choix techniques. Il faut y ajouter la sous-exploitation du potentiel génétique, les oppositions sociétales et politiques à cette industrie, la pénalité de fait qu’entraîne le déclin de la production générée par l’ouverture du marché européen depuis 1994. Le constat est dur mais pertinent. Auréolée de ses succès dans les produits de qualité et à l’export, la filière volaille s’est laissé griser et a négligé le cœur de gamme des produits standardisés.