Spécialiste des marchés financiers et de la gestion du risque, le professeur Jean Cordier est venu parler de volatilité et de finance à la session de la Chambre régionale d’agriculture.
« Le lait, c’est fait. Bientôt, ce seront les betteraves… Depuis 30 ans, en Europe, j’ai vu les marchés, chacun leur tour, être dérégulés », introduisait Jean Cordier, professeur à l’Agrocampus Ouest à Rennes, à la tribune de la session de la Chambre régionale d’agriculture le 30 novembre à Plérin. « Ça se passe toujours de manière identique et au final, le risque est là. » Les États n’interviennent plus. « Mais de toute façon, quand ces derniers font de l’intervention, ils créent un “point dur” qui a pour conséquence davantage d’instabilité ailleurs sur les marchés. » Dans ce contexte qui paraît flou et compliqué pour les novices, comme bon nombre de personnes présentes, pour le spécialiste des marchés, « face au risque, la réponse est simple : les marchés financiers. »
Les contrats entre éleveurs et laiteries ne sont pas équitables
Alors qu’on parle de financiarisation des marchés, « ces gros mots qui font peur », Jean Cordier veut rassurer : « On pourrait utiliser un autre mot à la place : la contractualisation. C’est bien, c’est même parfait. On peut contractualiser sur des quantités, des qualités avec sa coopérative, sa laiterie… Mais par contre, la contractualisation du prix passe par la finance… » Voilà pourquoi le spécialiste « ne comprend pas du tout l’idée des contrats entre les producteurs de lait et leurs laiteries. Ces contrats ne sont pas symétriques puisque celui qui les rédige, l’industriel, a plus de poids, est mieux informé et veut, bien sûr, garder la couverture à lui. » Pour éviter cette situation qui n’est pas équitable, « le producteur ne devrait pas contractualiser avec sa laiterie puisque les deux parties ont des intérêts divergents. Il faudrait en fait qu’il s’adresse à des tiers qui rendent les marchés liquides. » Jean Cordier parle là des marchés à terme « qui sont d’ailleurs actuellement révolutionnés par le développement du numérique. La technologie va vraiment les rendre accessibles à tout le monde. »
« Des filières animales démunies face à la volatilité »
À ses côtés, Jacques Jaouen relançait l’économiste sur la volatilité : « En lait, elle est nouvelle. Si récente qu’elle apparaît très difficile à gérer. » Le Finistérien avouait que face aux montagnes russes des marchés, « dans toutes les filières animales, on se sent démunis. » L’optimiste Jean Cordier reprenait : « Oui, la volatilité est là. Elle peut augmenter. Elle va même augmenter. Il faut faire avec… » Avant de redéfinir un peu les choses pour l’assemblée : « Attention, d’abord ne confondons pas volatilité et niveau de prix. La volatilité peut se gérer grâce à des outils financiers et à un bon partenaire. Le niveau de prix, lui, intègre les notions de compétitivité, de coût de production sur lesquelles vous pouvez jouer. »
Revenant sur l’asymétrie de l’information, « qui est négative sur les marchés », le spécialiste montrait qu’elle a toujours existé : « Le maquignon qui avait fait le tour des fermes connaissait bien mieux le marché que l’éleveur qu’il spoliait et savait argumenter pour un prix de la bête à la baisse… Le rôle de la puissance publique aujourd’hui n’est donc pas d’apporter des soutiens directs mais d’élever le niveau d’information publique. » Pour lui, les États n’ont pas à agir sur la volatilité. Seulement sur le niveau de prix : « Leur travail est d’enlever les bâtons dans les roues de la compétitivité par l’innovation, la réduction des charges de structure… »
Les américains assurent le chiffre d’affaires
« À la commission Agri, on pense déjà à l’après 2020 », lance Jean Cordier qui vient de rédiger un rapport pour Bruxelles comparant les Etats-Unis et l’Union européenne en matière gestion de risques et faisant état de quelques pistes et propositions. « Aux États-Unis, les situations catastrophiques en termes de prix ou de rendement sont prises en charge gratuitement par la puissance publique (budget). Quand l’agriculteur veut s’assurer pour des niveaux de perte plus faible, il paie. D’ailleurs, beaucoup contractent des assurances chiffres d’affaires. 80 % des producteurs de grandes cultures signent ce type de contrat. Ils ne parlent plus de rendement mais bien de chiffres d’affaires. Il n’y a rien d’équivalent en Europe. »
Secrètes initiatives sur le marché du lait
Mais quand la filière céréalière semble « avoir tous les outils pour une bonne couverture sur les marchés à terme, avec des revenus meilleurs qu’en filières animales, en lait, il n’y a rien de fait ! », s’exclamait alors un des élus professionnels voulant ramener le débat dans la cour de la ferme. « Rien dans le lait ? Je ne partage pas cet avis. Des initiatives se développent… », lâchait Jean Cordier qui n’a pas voulu dire un mot de plus à ce sujet. On peut donc imaginer que certains réfléchissent et prennent un temps d’avance en mettant au point des contrats permettant déjà de s’assurer contre la volatilité du prix du lait. Toma Dagorn