Suite au récent conseil de la FNPL auquel il a participé, Hervé Moël, secrétaire général de la FRSEAO lait et président de la section laitière de la FDSEA 22, revient sur la problématique « marché du lait ».
Quelle est « l’ambiance laitière du moment » ?
Depuis août, il y a une forte dégradation de la valorisation des produits industriels : beurre, poudre, lactosérum… Cela s’explique par l’embargo russe. Mais aussi par le fait que les Chinois ne sont plus aux achats. L’Asie s’était bien couverte en achetant beaucoup de produits laitiers en début d’année. Mais le marché étant baissier, elle a freiné ses approvisionnements en attendant des prix encore plus bas.
En France, le mix produits est tel que 40 % du lait est concerné par ce marché des produits industriels. Nous serons donc impactés par ce retrait des acheteurs chinois. En prenant en compte l’effet retard naturel, les conséquences se ressentiront sans doute début 2015… Heureusement, les autres 60 % qui concernent le marché intérieur s’échangent à des prix corrects entre l’industrie et la grande distribution. Aujourd’hui, cette valorisation France nous autorise à croire que la prochaine crise devrait être supportable. Reste à maintenir une pression permanente sur la distribution pour qu’elle ne tire pas les prix vers le bas.
Pourtant le syndicalisme dénonce un lait pas assez payé cette année…
En effet, en s’appuyant sur les indicateurs nationaux fournis par le CNIEL, l’Interprofession nationale, en fonction des données des marchés (produits de grande consommation, beurre, poudre…) et tenant compte du décalage de nos prix par rapport à l’Allemagne, nous constatons qu’il va manquer de 5 à 8 € / 1 000 L sur la paie des producteurs en 2014. Nous aurions dû atteindre une moyenne de 370 € / 1000 L. Nous serons plutôt dans une fourchette de 362 à 365 €.
On peut féliciter la laiterie Triballat en Ille-et-Vilaine qui a collé aux indicateurs pour rémunérer ses producteurs. Mais nous pointons du doigt les laiteries qui n’ont pas respecté ces indicateurs pourtant mentionnés dans leurs règlements intérieurs ou les contrats. En gros, il manque dans les poches des éleveurs l’écart avec l’Allemagne qui était de -12 € / 1000 L en octobre. Nous attendons des industriels que ce retard accumulé soit comblé sur les paies de début 2015.
Dans les campagnes, les trésoreries sont fragiles, les bruits de chute du prix du lait inquiètent. Certains brandissent le spectre de 2009. Comment rassurer ?
Dans un contexte porteur à moyen terme, nous allons entrer dans une période de très fortes turbulences, marquée par ces marchés très négatifs en termes de valorisation. Mais il y a également des lueurs d’espoir à l’horizon. D’abord, Poutine ne va pas laisser mourir les Russes et devra à nouveau importer des produits laitiers. Ensuite, les stocks constitués par les Chinois ne sont pas inépuisables et la Chine reviendra inévitablement aux achats de lait. On l’a vu pour l’orge dont les cours étaient très bas : dès que le géant asiatique s’est mis à importer, les prix sont remontés. Il nous faut apprendre à vivre avec cette volatilité.
Enfin, demain, il y aura des bouches à nourrir qui vont tirer le marché. L’établissement financier hollandais Rabobank estime que la demande de lait en 2030 sera supérieure à la production mondiale. Ce qui me fait dire que les éleveurs bretons ont tout intérêt à être sur ces créneaux d’export. Combien de temps va durer cette instabilité ? La spéculation et la position russe ont perturbé un marché porteur. Mais peu à peu, le marché va se redresser. Je pense que nous allons vers une mini-crise de 6 mois à 1 an. Pour nos exploitations, il ne faudrait pas que ça dure plus longtemps. Les indicateurs du 1er trimestre 2015 parlent de -10 % par rapport à 2014. Cela fait descendre le prix du lait à 320 – 330 € / 1000 L. À cette heure, il n’est pas question d’une nouvelle crise de 2009 où tous les signaux étaient négatifs : à l’époque, les cours des produits de grande consommation (PGC) France étaient très bas, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Propos recueillis par Toma Dagorn