Laurent Marc, directeur général adjoint de CerFrance Côtes d’Armor, tire un rapide bilan 2014 des filières et donne, avec prudence, quelques tendances pour l’année qui débute.
L’élevage laitier sort d’une année record en termes de prix. Comment cela s’est traduit dans les comptabilités ?
Le prix du lait s’est situé à une moyenne de 300 – 305 € / 1 000 L sur la période 2005-2009. Puis 350 € sur 2010 – 2014. Avec 380 € / 1 000 L, 2014 correspond à un pic jamais connu doublé d’une bonne campagne fourragère et d’une légère baisse du prix de l’aliment. Le coût alimentaire moyen a également baissé : 96 € / 1 000 L en 2014 contre 108 € en 2013, même s’il existe des écarts très importants entre les exploitations.
Dans les Côtes d’Armor, avec des exploitations produisant en moyenne 400 000 L de lait, ou 253 000 L / UTH, le volume de production à la hausse a aussi permis de diluer un peu les investissements. Au final, on observe sur 2014, une légère hausse des revenus et de la marge de sécurité.
Cela peut-il durer ?
Malheureusement, la tendance s’inverse déjà. Les laiteries annoncent un prix du lait à la baisse avec une forte variabilité pour 2015. L’augmentation des coûts de production continue et la volatilité, qui peut faire varier les cours de 100 € / 1 000 L sur la même année, compliquent les choses.
Heureusement que l’agriculture investit
En moyenne, une exploitation laitière a investi près de 33 000 € / an depuis 3 ans. Contre 17 000 € au début des années 2000. Cela s’explique par les agrandissements, les restructurations et la tendance à l’automatisation et la mécanisation. Il y a aussi un effet de rattrapage des outils laitiers qui avaient eu tendance à sous-investir par le passé. Précisons aussi qu’on observe un lien marqué entre niveau d’investissement et revenu.
De même, sur les trois dernières années, les exploitations porcines ont investi 70 000 € / an. Le double du montant sur la période 2004 – 2006.
Toutes filières confondues la ferme costarmoricaine moyenne a investi 45 000 € en 2014. Heureusement qu’il y a l’agriculture pour investir en Côtes d’Armor et soutenir l’économie car on ne retrouve ce dynamisme dans aucun autre secteur d’activité.
Beaucoup d’éléments pourraient impacter la rentabilité cette année. Les âpres négociations sur les PGC (marché intérieur) à mener avec la distribution. La durée de l’embargo vers la Russie qui représentait auparavant 33 % et 28 % des exportations de l’UE en fromage et en beurre. La dynamique de production dans l’UE (fin des quotas), en Océanie (sécheresse) et aux USA. Depuis quelques semaines, des vaches sont taries en France, l’Europe du Nord ferme son robinet laitier craignant les pénalités… Si la production ralentit suffisamment, il y a un petit espoir de reprise du marché au second semestre 2015…
À l’entrée de ce virage difficile, que conseiller ?
Un message de bonne gestion. Depuis 5 ans, ça investit énormément en lait… Mais il faut rester vigilant, raisonner pour maîtriser ses charges de structure. Et essayer de conserver de la trésorerie pour passer les mauvais moments comme les prochains mois.
En 2014, le contexte politique a plombé l’ambiance porcine : les cours au MPB se sont écroulés à l’inverse des prévisions…
Le coût de l’aliment porc était de 300,8 € / T en 2013, contre 264,3 € / T en 2014. Mais l’embargo russe a fait reculer l’export communautaire de 6 % en 10 mois et pesé lourd sur le marché. La chute du prix moyen de 14 ct / kg carcasse en 2014 par rapport à 2013 a tout remis en cause. Malgré l’amélioration des critères techniques et un aliment moins cher, la perte moyenne en atelier porc s’élève à -0,03 € / kg (proche de 2013). Au final, 2014 est marqué par un léger déficit de trésorerie et une chute des revenus sur les derniers mois.
Que peut-on attendre dans les mois à venir ?
En 2015, le prix de l’aliment devrait augmenter, il est déjà à la hausse depuis quelques semaines. Avec un cours du porc qui continue à s’effriter, l’effet ciseau étrangle les exploitations. L’inquiétude est donc très forte et les difficultés de trésorerie sont déjà perceptibles. Dans les prochaines semaines, nous allons rencontrer l’ensemble des adhérents CerFrance producteurs de porc pour projeter leur trésorerie à 6 mois et anticiper la recherche de solutions.
Dans le même temps, on constate pourtant qu’il y a toujours beaucoup de projets dans les exploitations porcines, mais sans un retour à la rentabilité et à la confiance ceux-ci ne se concrétiseront pas.
La volaille cherche à s’adapter
2014 a été marquée par un recul de l’achat des ménages en viande de volaille (-1,3 %) et de bœuf. Seul le porc a progressé un peu. Mais la filière avicole a mieux répercuté la hausse du prix des matières premières avec des prix en hausse (+1,9 %). Pourtant, dans les élevages, les marges ont baissé, générant un net fléchissement des revenus des aviculteurs en 2013 et 2014. On note aussi en France une baisse de production de poulets (-3,8 %), un recul des exportations vers l’UE et pays tiers et une reprise des importations (+3%).
Pour 2015, il est difficile de dire quel sera l’impact pour les éleveurs des restructurations en cours : l’entrée du groupe saoudien Almunajem dans le capital de Doux pour le poulet export, la reprise de Tilly-Sabco ; l’alliance LDC/Sofiprotéol qui vise la reconquête du marché français en poulet standard…
Un dernier chiffre pour conclure…
Aujourd’hui, 7 à 8 % des exploitations accompagnées par CerFrance atteignent un capital d’au moins 1 million d’euros. Rapidement, ce sera 10 % des exploitations. Cela souligne d’autant plus l’importance d’anticiper et de préparer les transmissions et les successions.
Propos recueillis par Toma Dagorn