Eurial a changé le grammage de base des taux protéique et de matière grasse dans les grilles de paiement du lait de chèvre depuis quelques mois. Une décision qui impacte directement les producteurs.
Malgré un travail assidu sur les taux de matière protéique et matière grasse depuis le redéploiement de la filière caprine dans les années 85, la Bretagne subit dès cette campagne laitière les moindres résultats des autres régions. Après la relève des seuils de la valorisation des points de taux protéique (TP) et du taux butyreux (TB) respectivement de 28-33 à 32-38 g/L en juillet dernier par Eurial Poitouraine, pour un lait plus gras et plus « goûteux », la filière a entrepris une réflexion nationale pour, selon l’Anicap, « éviter la multiplication d’initiatives individuelles ». Ces discussions ont abouti en octobre à un accord interprofessionnel, moins strict, incitant les laiteries de collecte à faire évoluer la définition du lait standard en termes de composition en matière protéique de 28 à 30 g/L et pour la matière grasse, de 33 à 35 g/L a minima, à compter du 1er janvier 2015. « Nous suivons cet accord, pour ne pas être en écart avec les autres laiteries », explique Marc Belhomme, responsable production à la laiterie Triballat à Noyal/Vilaine (35). Jacques Ménétrier, directeur de la Colarena, affirme quant à lui « maintenir les seuils appliqués depuis juillet 2014. »
La relève du prix de base masque des craintes pour l’avenir
Certes, ce changement dans la grille de paiement du lait a entraîné une augmentation du prix de base de 33 € en moyenne, (62 € pour la Colarena qui collecte pour Eurial dans le Morbihan), en prenant en compte l’intégration de la valeur des grammes différentiels. « Mais les éleveurs caprins, qui avaient jusqu’alors la main sur la plus-value des taux, ont perdu cet avantage », analyse Nicole Bossis, de l’Institut de l’Élevage. Elle pèsera moins lourd dans la composition du prix du lait. Et même si, aujourd’hui, la demande en lait de chèvre est dynamique, la dernière crise (2009-2013) n’est pas loin, avec le souvenir d’une baisse du prix de base pour certains et ses conséquences sur les trésoreries. « À long terme, on risque d’oublier ce calcul assez compliqué », craint Franck Mérel, agriculteur à Chateaugiron (35). La crainte réside donc dans une éventuelle baisse du prix de base à l’avenir…
Des pénalités saisonnières sur la campagne
Si peu d’éleveurs bretons sont concernés par des pénalités pour un seuil à 30-35 g/L (12 % selon le Contrôle laitier), l’organisme de contrôle de performance a analysé que c’est près de 1 chevrier sur trois qui est affecté, pour le relevage des taux à 32-38 g/L. Et derrière ces chiffres moyens se cachent des variations importantes tout au long de la campagne. Pour exemple, Mickaël Séveno, éleveur de 340 chèvres à Saint-Allouestre (56), a des taux moyens de 34 en TP et 37 en TB. « Durant la période d’affouragement en vert, au pic de lactation, mes résultats descendent bien en deçà des seuils, avec un TP à 30 et un TB à 32 », décrit-il. Et de poursuivre : « Les prévisions faites sur le papier nous annonçaient gagnants, mais ce n’est pas toujours la réalité du terrain… » Même si, avec prudence, il attend de faire le bilan au bout d’une année complète.
Poursuivre les efforts techniques
L’augmentation de la matière grasse n’est pas si simple en production caprine, du moins sur du court terme. Si, pour le moment, nombre d’agriculteurs attendent de voir l’incidence économique de cette décision sur 12 mois cumulés, « j’ai néanmoins eu beaucoup de questions sur l’ajout de tournesol dans les rations », relève Julie Deschaume, conseiller caprin au Contrôle laitier. Avant de rappeler « qu’une distribution de 70 g/ch/j de graines de tournesol à 450 €/t en big-bag est utile seulement du 4e au 7e mois de lactation, quand le TB est bas, et rentable que si ce TB évolue de 2 points sur cette période. » Mais avant tout, il faut respecter 60 % de fourrages dans la ration, fractionner les apports de concentrés et veiller à ne pas dépasser 3 % de teneur en matière grasse de la ration, insiste la conseillère spécialisée. Outre la maîtrise de l’alimentation, reste donc maintenant à travailler la gestion du troupeau (baisse du TB avec le rang de lactation par exemple) et la génétique (effet race, insémination artificielle). Avec un ratio TB/TP de 1,06, aucun problème d’égouttage ni de défaut d’affinage n’a été observé à l’EARL de l’Arche, à Languidic (56), producteur mixte qui livre du lait et transforme une partie de sa production. « Mais le TB moyen à 33 g/L est faible par rapport aux nouveaux seuils. Nous avons insisté jusqu’à présent sur la sélection des mères à chevrette vis-à-vis de la production laitière. Axe de travail qu’il nous faudra corriger pour un résultat sur du long terme », explique Nathalie Noé, agricultrice. Sans pour autant dégrader la productivité laitière. Carole David
Franck Mérel, Représentant caprin à la Chambre d’agriculture 35
Les augmentations successives du prix de base depuis deux ans n’ont fait que combler les hausses de coût de production. Depuis six mois, les producteurs atteignaient un équilibre. Mais l’évolution du coût des intrants ces dernières semaines rebat les cartes. La Fédération des éleveurs de chèvres (Fnec) et les Jeunes Agriculteurs estiment qu’il manque encore 40 €/1 000 L pour pouvoir remotiver les agriculteurs à la production caprine. Quant à l’évolution de la grille de la valorisation des taux, je déplore sa mise en application très rapide. Les curseurs dans les élevages sont connus. Avec la maîtrise de l’alimentation, il ne reste plus que la génétique comme axe de travail et dont la progression est lente. Ces évolutions auraient pu se faire par paliers ou avec un travail préalable de sensibilisation avant de changer les règles du jeu.