La corrélation entre les prix du pétrole et des marchandises agricoles est loin d’être évidente. La baisse du prix de l’énergie impacte le monde agricole, mais agit avec des résultats contradictoires selon les pays et les produits.
Parce que les biocarburants sont depuis plusieurs décennies des débouchés des céréales et des oléagineux, il est difficile d’imaginer que la dégringolade des prix du pétrole en 2014 n’ait pu impacter le cours des marchandises agricoles. Pourtant, la corrélation entre les prix des uns et des autres est loin d’être évidente. Alors que le pétrole reculait de 30 % en décembre à New-York, le maïs gagnait 8 % à Chicago, le blé 9 % à Paris, le colza et l’huile de palme progressaient aussi pendant que le soja restait stable. Preuve que d’autres forces sont en jeu, qui ont la main pour l’instant.
Impact de la baisse du prix de l’énergie
- Risques sur les marchés financiers américains
Aux USA, 37 % de la demande en maïs concernent le secteur de l’éthanol. Ce dernier a battu des records de production ces dernières semaines, soutenu par de très bonnes marges tant que le maïs était bon marché et le biocarburant cher. La situation commence à s’inverser et il faudra suivre de près un des principaux moteurs de la demande américaine, bien avant l’exportation qui ne représente que 13 % des débouchés US. Autre facteur potentiellement baissier, les mauvais crédits accordés dans le secteur de l’énergie de schiste qui pourraient déclencher une nouvelle catastrophe sur les marchés financiers si le prix du baril ne se relève pas rapidement. Pour l’instant, la rétention exercée par les agriculteurs soutient le prix du maïs à Chicago. Mais au printemps, lorsque nous en saurons plus sur l’état des cultures d’hiver et que les besoins de financer les semis se manifesteront, qu’en sera-t-il ?
- En Amérique du Sud, l’huile de soja dévolue à la fabrication du biodiesel
Au Brésil, la demande interne en biocarburant est soutenue par des incitations gouvernementales. Mais en Argentine, la consommation locale peine à décoller et la trituration reste liée au rythme des exportations. Avec la chute du prix de l’énergie, celles-ci sont remises en cause et pourraient impacter les volumes de graines triturés et donc les tonnages de tourteaux de soja argentins mis à disposition sur le marché mondial.
Pétrole de schiste, les nouveaux subprimes ?
Aux USA, le secteur du pétrole et du gaz de schiste est le seul réel contributeur à la croissance du pays. Cette ruée vers l’or noir a été financée par l’emprunt en 2009, une dette très risquée et donc à haut rendement (high yield) sur laquelle se sont précipités les investisseurs en mal de rendement à l’époque. Les entreprises qui ont émis de la dette comptaient payer les intérêts en vendant du pétrole à plus de 80 $. Depuis octobre, les investisseurs prennent peur et vendent. Le rendement de ces obligations « high yield » explose.
- Forte corrélation entre prix du pétrole et cours du rouble
Compte tenu du poids des matières premières énergétiques dans l’économie russe (la moitié des recettes budgétaires), la corrélation entre le prix du pétrole et le cours du rouble est assez forte depuis de nombreuses années. La baisse de la cotation du baril est donc une des raisons du dévissage de la devise russe (-65 % de janvier à mi-décembre) à laquelle sont venues s’ajouter la forte fuite des capitaux liée à la crise en Ukraine et une attaque en règle des marchés anglo-saxons… Pour limiter l’inflation alimentaire galopante que connaît son marché intérieur (blé, farine, pain), le gouvernement a imposé des restrictions à l’exportation des céréales et relevé le prix d’intervention du blé meunier (160 €/t dans l’ouest du pays). Mais les deux tiers des stocks restants sont aux mains des agriculteurs, qui utilisent le blé comme une monnaie, afin de gérer l’inflation. La rétention aura donc plus d’impact sur le marché que les décisions gouvernementales.
- En Europe, le colza fait de la résistance
Les cours de la graine ont repris 10 % depuis leur plus bas de fin septembre, accompagnant le rebond du soja. Mais il faut ajouter à cet élément haussier, une très bonne demande, des perspectives de forte baisse de la récolte 2015 et des inondations en Malaisie qui ont accéléré la hausse de l’huile de palme. Nous n’avons donc pas connu d’impact baissier de la chute du pétrole alors que la grande majorité de l’huile de colza est dévolue à la production de biocarburant…
Les stocks mondiaux de céréales et de soja sont très importants et sont aux mains des producteurs. Entre arbitrage économique et facteurs fondamentaux, les prix nous réservent encore quelques surprises. Le prix du WTI (West Texas Intermediate) à la sortie de l’hiver sera déterminant. Au final, cet impact baissier attendu de la chute des prix du pétrole sur les marchés agricoles n’est peut-être que différé. Patricia Le Cadre, Céréopa, www.vigie-mp.com