Les négociants français ont mis en place une politique offensive pour vendre les blés de qualité en début de campagne. La situation va évoluer différemment pour les six prochains mois.
La première partie de campagne (de juillet à décembre) a été menée tambour battant par les exportateurs de la Mer Noire et de l’UE à 28. Pour les premiers, il s’agissait de faire entrer au plus vite des devises qu’un contexte économique compliqué rendait plus que nécessaires, et de compenser la baisse des prix par les volumes. Mi-janvier, 82 % et 66 % des objectifs respectifs de vente de la Russie et de l’Ukraine étaient atteints, attisant l’inflation alimentaire sur les marchés locaux. Il était donc plus que temps, pour les autorités respectives de chaque pays, de calmer le jeu, afin de ne pas attiser le mécontentement social et d’éviter une trop forte rétention des producteurs. La Russie a donc tiré la première, mettant en place en janvier, un certain nombre de restrictions à l’exportation (taxe, arrêt des subventions au transport ferroviaire des marchandises, renforcement des contraintes sanitaires, etc.). L’Ukraine vient, quant à elle, d’annoncer un contingentement des exportations sur les prochains mois, laissant le maïs largement majoritaire dans ses silos portuaires.
Des objectifs d’exportation en hausse
Dans l’Union européenne, les ventes ont été tout aussi agressives, notamment de la part des Français. Face à une qualité meunière limitée, à des silos portuaires engorgés et à des perspectives baissières sur la campagne, les négociants français ont réagi très rapidement et décidé d’une politique très offensive jusqu’à aujourd’hui. Car si l’euro baissait face au dollar, le rouble et la grivna dévissaient beaucoup plus vite… Le travail d’allotement et de mélange sur le blé meunier, et la recherche de nouveaux débouchés pour le blé fourrager ont été payants. Les objectifs d’exportations n’ont cessé d’être réajustés à la hausse depuis juillet. Ils se situent aujourd’hui pour la France à 8,8 Mt vers les Pays Tiers, avec 54 % des contrats engrangés. Au niveau européen, les analystes visent entre 30 et 31,5 Mt d’exportation (tous blés) pour 16,7 Mt de certificats émis sur le blé meunier actuellement. Face à ces deux grands pôles d’exportation, les USA faisaient pâle figure. D’une part, la récolte y est en baisse de 3 Mt cette saison et le pays voit son disponible exportable diminuer de 7 Mt. La concurrence du maïs et surtout la fermeté du dollar face à de nombreuses devises handicapent sérieusement le pouvoir concurrentiel des blés américains.
Une récolte 2015 en baisse
Les stocks de fin de campagne en juin 2015 seront en hausse de 10 Mt au niveau mondial, mais seulement mobilisables dans l’UE (+5 Mt), ce qui limite le potentiel baissier de ce chiffre. Face à cela, la récolte mondiale 2015 est attendue à 701 Mt pour le moment, en retrait de 2 % (-16 Mt). Cela reste au-dessus de la moyenne quinquennale. Cependant, si la consommation reste stable, on peut d’ores et déjà tabler sur un léger repli des stocks sur la prochaine saison.
Pour la France, le plus dur est devant…
La deuxième partie de campagne ne ressemblera pas à la première. Tout d’abord, on assiste à un changement de joueurs dans l’équipe du blé meunier. Du côté de la Mer Noire, les quantités encore disponibles sont limitées et ne peuvent tirer les prix vers le bas. Cela devrait donc laisser un boulevard aux exportateurs européens… notamment allemands et polonais. Petit bémol, en effet pour la France, où les meilleurs lots ont été commercialisés. Ceux de qualité intermédiaire (dont il est difficile d’améliorer le profil), risquent de ne pas trouver preneur à un bon prix. Nous allons donc devoir céder la place en Algérie, mais aussi sur d’autres débouchés pour lesquels les exigences ne seront plus à notre portée. Les USA, qui viennent de faire un effort sur le prix (-20 % depuis mi-décembre pour le SRW*), comptent aussi revenir un peu plus dans la bataille. Ces dernières semaines, les ventes US ont été correctes, mais concernent, là encore, les blés de qualité (HRW**). Face à eux, l’Argentine et l’Australie arrivent avec leur nouvelle récolte. Cependant, si la première doit se repositionner sur son voisin brésilien, là aussi la messe n’est pas dite, car la qualité n’est pas au rendez-vous. Quant à l’Australie, son disponible exportable est en baisse, suite à une grosse sécheresse dans l’Est du pays. Patricia Le Cadre, Céréopa, www.vigie-mp.com
*Soft Red Winter, ** Hard Red Winter