Des siècles de boulou pok pour mardi gras

boulou-pok-mardi-gras - Illustration Des siècles de boulou pok pour mardi gras

Mardi gras se fête d’une façon originale à Guerlesquin (29), petite cité de caractère. Depuis des siècles, les hommes s’affrontent lors d’un jeu entre la boule et le palet.

La place Prosper Proux est vide en cette fin de matinée de février. Puis, petit à petit, des villageois viennent avec deux étranges boules à la main. C’est mardi gras, et depuis des siècles les Guerlesquinais se réunissent pour s’affronter entre nordiste et sudiste. Pas besoin de carte de la commune pour connaître la couleur de son équipe. « Les habitants dont la façade est exposée vers le sud sont nordistes et inversement », précise Michel Guillou, président de l’association Boulou pok et tradition. Car tout est tradition dans ce jeu ou le but est de rapprocher au plus près sa boulou du mestre.

[caption id= »attachment_2858″ align= »aligncenter » width= »300″]Eugène Jouanet fabrique des boulou Eugène Jouanet fabrique des boulou depuis 40 ans.[/caption]

Sans tambour ni trompette

Les protagonistes de ce cru 2015 se taisent en entendant le roulement du tambour, qui se fait suivre par l’annonce d’un joueur en costume traditionnel. « Je déclare ouvert le 382e championnat du monde de boulou pok », lance Stéphan Tilly, habile musicien du jour. Les deux capitaines placent alors les deux mestres qui serviront au bon déroulement de la partie. Une distance de 12 à 14 pas est mesurée entre les deux demi-boules de bois, peintes aux couleurs de la commune, qui feront office de cochonnet. Deux manches gagnantes de douze points sont nécessaires pour être proclamé vainqueur. Chacun dispose de deux boulou qu’il lancera tant que son équipe n’aura pas approché au plus près le mestre. Le jeu ne manque pas de tactiques. « Bazen » s’exclame un compétiteur. « Quand les boulou sont proches et que le point est fait, mieux vaut ne pas jouer au risque de casser le jeu », explique Michel Guillou. La première manche est serrée et dure 3 h 30, tout comme la deuxième manche. C’est vers 19 heures que les sudistes délivrent leur équipe en s’imposant à la belle. Chaque participant se verra offrir une feuille de laurier en guise de récompense. Vainqueurs et vaincus peuvent alors aller se restaurer ensemble pour clore la journée.

[caption id= »attachment_2859″ align= »aligncenter » width= »300″]Le registre rappelle le nom et les cotisations des anciens participants Le registre rappelle le nom et les cotisations des anciens participants. Il est toujours utilisé pour que les joueurs entrent dans l’histoire.[/caption]

L’écureuil, Toll toul et le renard bleu

Tout n’est pas que jeu dans cette joute de boule. Une autre joute, verbale cette fois, nourrit les conversations. Chaque joueur, au moment de représenter son équipe, fait face à une haie formée par les autres participants. Chacun est alors affublé d’un sobriquet humoristique. « L’écureuil travaille dans un établissement bancaire spécialisé dans l’épargne, l’Américain voyage souvent aux États-Unis pour voir sa fille et Justin Bieber est un jeune sudiste au look branché », explique Michel Guillou, surnommé Toll Toul, comme le café qu’il tient, non loin de la place Prosper Proux. Président de l’association Boulou pok et traditions, il œuvre pour la conservation des jeux traditionnels bretons en partenariat avec la Falsab*.

Retour du printemps

« Après les mois noirs de novembre et décembre appelés en breton miz du et miz kerzu, les jours commencent à rallonger. Tout laisse à penser que mardi gras fête le retour du printemps. Les travaux dans les champs n’ayant pas encore commencé, les paysans prenaient plaisir en faisant gras après les longs mois d’hiver », raconte Henri Bideau, habitant de Guerlesquin et passionné d’histoire de la ville. Le jour de mardi gras, la société était bouleversée : tout le monde pouvait se déguiser en roi, tout était permis. Il ajoute « Le boulou pok se joue sur la place centrale de la ville. Chaque joueur cotise pour entrer dans l’histoire, car les registres seront les archives de demain ». Conservés précieusement, les registres originaux datent des années 1700.

Fabrication locale

Pour se fournir en boulou, inutile de chercher ailleurs qu’à Guerlesquin. Eugène Jouanet fait perdurer la tradition de fabricant. « J’ai commencé à réaliser des boulou à l’âge de 15 ans. Depuis que je ne trouve plus d’orme, je fabrique les boulou avec de l’if, car c’est un bois qui ne fend pas et qui est teinté naturellement. Le pommier peut aussi servir, ou même le houx qui se rapproche du buis ». Les pièces de bois brut passent par le tour d’Eugène, pour former une sorte de demi-boule. Elle sera percée, puis lestée par du plomb qui recouvrira la partie plane. Mais qu’est-ce qui fait une bonne boulou ? « Il n’y a pas de bonne boulou, c’est le joueur qui fait la différence. D’ailleurs, il n’y a pas de norme de taille ou de poids », décrit-il. Le Breton ne manque pas d’imagination quand il s’agit de s’amuser. Au-delà des rivalités que connaissent les petites communes rurales, les Guerlesquinais savent se retrouver pour faire vivre des traditions trop souvent perdues. Fanch Paranthoën

* Falsab : confédération de jeux et sports traditionnels de Bretagne.


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