Marie-Laurence Grannec, des Chambres d’agriculture de Bretagne, poursuit son étude des conflits locaux liés aux élevages porcins. Sur la base de 34 nouveaux entretiens avec des défenseurs, des témoins et des opposants aux projets, concernant 10 enquêtes publiques, elle nous livre quelques préconisations pour éviter les conflits.
Quels sont les déterminants majeurs de la survenue des conflits ?
Marie-Laurence Grannec : Le contexte social est le déterminant le plus fréquent. C’est le cas lorsque la campagne est perçue, comme un « cadre de vie » et pas comme un support économique, notamment dans les communes littorales ou périurbaines. L’opposition, dans ce cas, est locale. Le contexte environnemental est un autre déterminant. Il conduit à étendre géographiquement le conflit et implique des personnes étrangères à la région (algues vertes). Les opposants ne se connaissent pas. La nature du projet et la présence d’acteurs connus, éventuellement engagés politiquement, sont susceptibles d’attiser les conflits.
La densité porcine sur le territoire a-t-elle une influence ?
Marie-Laurence Grannec : Plus la densité porcine est forte et moins les conflits sont fréquents. Les projets sont plus facilement acceptés.
L’éleveur communique t-il suffisamment ?
Marie-Laurence Grannec : Certains éleveurs se contentent de répondre aux obligations réglementaires, mais la publicité de l’enquête publique est inadaptée car impersonnelle et parfois incompréhensible. D’autres estiment suffisant d’informer les élus et les voisins les plus proches. Ce n’est pas toujours efficace, car beaucoup de riverains prennent connaissance du projet au moment de l’enquête publique. C’est trop tard pour établir un dialogue constructif. Ils souhaitent être informés en amont et de manière individuelle. L’éleveur doit être la source principale d’information sur son projet. Pour cela mieux vaut ne pas refuser les sollicitations, y compris des médias.
Les réunions publiques sont-elles nécessaires ?
Marie-Laurence Grannec : En termes de concertation, la réunion publique constitue un dispositif courant. Certains porteurs de projets ne souhaitent toutefois pas en organiser . D’ailleurs, trop souvent, elles n’atteignent pas leur objectif en raison de débats trop virulents. Des réunions destinées à un public plus ciblé et plus restreint paraissent plus à même de permettre un débat constructif.
La présence d’un médiateur est-elle souhaitable ?
Marie-Laurence Grannec : Il faut passer d’une stratégie de communication à une démarche de concertation. L’enquête publique devrait être faite pour cela, mais c’est rarement le cas. Bien souvent, l’argumentation laisse place à des attaques d’ordre personnel et les rares moments de rencontre entre parties prenantes se soldent par des agressions verbales. Une médiation peut être souhaitable lorsque des néoruraux, qui ne connaissent pas le secteur agricole, sont impliqués.
Qui peut mener une médiation ?
Les élus locaux peuvent jouer ce rôle à condition qu’ils portent un intérêt à l’agriculture et ne soient pas impliqués dans le conflit. Un voisin retraité, qui connaît tout le monde, peut parfaitement le faire. Quelqu’un qui a fortement à cœur de maintenir la cohésion sociale du quartier et qui sait adopter une posture neutre.
Faut-il faire une visite de l’élevage ?
Marie-Laurence Grannec :La visite de l’élevage avec explication du projet semble un moyen adapté pour susciter un débat constructif, favorisant la compréhension mutuelle. Certains opposants nous ont dit que c’était une bonne initiative. Que, même s’ils n’étaient pas convaincus par le modèle, ils avaient apprécié les explications et trouvé les éleveurs sympathiques. Et au final ils se disaient plus tolérants vis-à-vis du projet. Un autre avantage de la visite, c’est que ce sont les éleveurs qui présentent l’activité. Personne ne parle à leur place. Dans tous les cas, l’éleveur doit anticiper.
Comment anticiper ?
Marie-Laurence Grannec : Cela nécessite tout d’abord de pouvoir dialoguer naturellement et de manière informelle indépendamment de l’élaboration d’un projet. Cela passe par les liens existants et les discussions avec les « connaissances » lors du match de foot, de la fête de l’école… Mais aussi par les liens que l’éleveur va créer par exemple en invitant de nouveaux voisins à venir visiter son élevage. Les discussions qui s’engagent alors peuvent permettre de parler du métier d’éleveur, des besoins d’évolution des exploitations et aussi des éventuelles interrogations des tiers. Elles amènent plus de compréhension mutuelle. Et elles facilement le dialogue ultérieur lors d’éventuels projets. Propos recueillis par Bernard Laurent