Économiste de formation, Lucien Bourgeois partage son point de vue sur la Pac 2015-2019, grâce à son expérience acquise en tant que responsable du secteur Études et prospective de l’APCA.
La PAC et vous, c’est une longue histoire…
Effectivement, j’ai commencé ma carrière dans le syndicalisme agricole en 1970. C’était donc 8 ans après le début de la mise en œuvre de la Pac. Depuis lors, on ne compte pas le nombre des crises qu’a subi cette politique avec les dévaluations de la monnaie, l’entrée du Royaume-Uni, de l’Espagne, la réunification de l’Allemagne, l’élargissement aux pays de l’Est et les tractations de l’OMC. Parmi ces événements, c’est sans conteste la chute du Mur de Berlin qui a constitué l’événement majeur. Depuis lors, la Pac semble moins claire dans ses objectifs, mais elle a néanmoins été confortée à nouveau jusqu’en 2020 car les gouvernements européens ont pris conscience en 2008 que les crises sur les marchés alimentaires pouvaient occasionner des fractures sociales graves dans de nombreux pays du monde.
Pourquoi le budget agricole européen est en baisse régulière depuis 20 ans ?
La Pac a été maintenue depuis 1992 à condition que l’on soit capable de maîtriser les dépenses agricoles. Cet objectif a été atteint depuis 20 ans malgré les élargissements. C’est une grande différence avec les États-Unis et la Chine qui ont été contraints d’augmenter brutalement leurs dépenses après la crise de 2008. Lors de la dernière décision sur la Pac 2014-2020, le budget européen a été préservé, mais les dépenses agricoles devront diminuer de 12 %. C’est un choix des pays riches de l’Union européenne, dont la France fait partie, de ne pas s’engager dans des mécanismes de solidarité nécessairement coûteux pour eux. Mais cette limitation des dépenses européennes n’empêche pas des cotisations nationales si nécessaire. Elle n’empêche pas non plus de prendre des mesures réglementaires efficaces.
Comment analysez-vous le poids croissant des aides publiques dans le revenu agricole ?
Lors de la dernière décision sur la Pac 2014-2020, le budget européen a été préservé, mais les dépenses agricoles devront diminuer de 12 %. Le premier est bien évidemment de donner l’impression aux agriculteurs de ne pas pouvoir vivre de la seule vente de leurs produits. Mais lorsque les aides sont supérieures au revenu agricole, on aboutit à une incohérence économique. C’était le cas auparavant dans certaines productions en particulier dans les céréales et l’élevage bovin. Cela devient vrai pour l’ensemble de la Ferme France. Il serait utile de revenir à une situation plus saine qui redonne au marché des produits une plus grande importance. Plus facile à dire qu’à faire… Mais il convient de rappeler que les aides directes à l’hectare sont peu en rapport avec l’emploi. Dans des pays confrontés à un fort taux de chômage, il ne serait pas illogique de donner plus d’importance à l’emploi pour la répartition des aides.
L’autonomie alimentaire (et l’agriculture) est-elle toujours une priorité de nos politiques ?
Personne ne croit en Europe que nous risquons de souffrir à nouveau de la faim tant que nous serons parmi les pays les plus riches du monde. Mais cela ne veut pas dire, comme certains l’ont affirmé un peu vite, que le Brésil pourrait nourrir le monde et que nous pouvions importer l’essentiel de nos besoins alimentaires. L’alimentation reste un enjeu stratégique dans tous les pays, car nous devons manger trois fois par jour et que nous sommes très sensibles aux risques que cela implique. La population mondiale va continuer à croître sur la planète jusqu’en 2050. Nous avons intérêt à la suppression des famines pour éviter les migrations contraintes. Le marché ne permet pas d’atteindre ces objectifs sans intervention des États. Nous savons faire. Il serait dommage de laisser se développer des crises toujours dangereuses pour la cohésion sociale.
Quelles sont les pistes pour nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 ?
L’enjeu est important pour la paix dans le monde. Mais il faut savoir garder raison. Nous ne sommes pas démunis et la pénurie alimentaire n’est pas une certitude incontournable. Il faut d’abord rappeler que la récolte de céréales de cette année établira un nouveau record historique et que ce n’est pas la première fois que, année après année, avec quelquefois des reculs provisoires, on bat des records. La production a presque triplé depuis 50 ans. La croissance de la production est plus rapide que celle de la consommation et cela a permis d’augmenter la ration disponible par habitant de 260 à 340 kg par personne. Il reste des terres disponibles dans le monde et de nombreux pays pourraient augmenter leur rendement à l’hectare. Il faudra bien évidemment s’adapter au réchauffement climatique, faire attention à l’usage de l’eau et à la préservation des sols. Mais il faudra surtout garantir aux agriculteurs qui augmentent leur production qu’ils ne vont pas tout perdre à cause d’un effondrement des prix au moment des bonnes récoltes. Cela s’appelle la régulation des prix. Ce n’est pas à la mode. Mais c’est un des seuls moyens efficaces pour permettre l’augmentation de la production. Mais peu importe le moyen utilisé. L’essentiel est qu’on soit d’accord sur l’objectif et que les Gouvernements n’assistent pas aux crises sans réagir. Propos recueillis par Olivier Ropert -Icoopa