Emprunté à l’Antiquité et aux ruines romaines, le bucrane, cette représentation artistique d’une tête de bovin décharnée, se répand dans toute l’Europe au 16e siècle. Jusqu’aux tréfonds de la Bretagne.
Il faut beaucoup de perspicacité pour le débusquer. Dans la chapelle de Saint-Herbot, à Plonévez-du-Faou (29), se cache un bœuf. Un bœuf sous bonne garde du saint-patron protecteur des bovins finistériens et pourvoyeur de bons produits laitiers. Miséricorde, mais où se cache-t-il donc ?
Un art européen de la Renaissance
C’est sans se faire prier qu’une « Saint-Herbotienne » qui connaît par cœur chaque recoin de cette chapelle-cathédrale, vous conduit au pied d’une stalle du chœur liturgique où se tient, stoïque depuis plus de 400 ans, le bœuf embusqué. Ou plutôt sa représentation sous forme d’un bucrane armé d’une paire de cornes stylisées remplacées par deux têtes de lion qui viennent mordre des feuillages sortant des yeux du bovin. Comme un rappel de cette vieille maxime répétée par Antoine Loysel, premier penseur du droit français au 16e siècle : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles ».
[caption id= »attachment_2484″ align= »aligncenter » width= »300″] À Plabennec (29), deux imposants protomés de taureau trônent à l’entrée des dépendances du château du Leuhan.[/caption]
Ce décor taurin en bas-relief, sculpté dans du bois de chêne durci par plus de quatre siècles de silence, orne le dos d’une miséricorde repliable sur laquelle chanoines et moines soulageaient leur corps raidi par d’interminables prières qu’ils récitaient debout. Mais qu’il était bon ponctuellement de se reposer incognito entre les cornes protectrices de ce siège que l’on appelle aussi un assis-debout. Si la présence de ce bucrane n’est pas sans lien avec le saint protecteur du bétail, patron de Saint-Herbot, les spécialistes de l’art figuratif mentionnent que les bucranes constituent une forme d’expression courante en Europe à l’époque de la Renaissance. Mais ce style qui puise ses racines dans l’Antiquité reste relativement confidentiel en Bretagne. Une représentation plus fidèle à cet art initial subsiste également dans la collégiale Notre-Dame de la Guerche-de-Bretagne (35).
Le bétail dans l’art
La mythologie, les légendes et les religions font largement référence aux bovins : taureaux ailés de Mésopotamie, dieu Apis de l’Égypte antique et les nombreuses métamorphoses de Jupiter en taureau. Depuis 17 000 ans, les peintures rupestres de la salle des Taureaux à Lascaux constituent aussi un témoignage artistique d’une relation ancestrale entre l’espèce humaine et cet animal à la fois chassé et vénéré par les premiers hommes.
Une origine antique
Les spécialistes de l’architecture de la Renaissance expliquent que le bœuf ou le taureau représenté sous forme de bucrane renvoie incontestablement aux vestiges archéologiques. Dans les ruines de la Ville Éternelle, le bucrane apparaît généralement comme un élément décoratif des frises à côté des guirlandes de fruits, des feuillages et des instruments du sacrifice.
L’histoire raconte, qu’au 16e siècle, un artiste italien trouve des modèles antiques dans le théâtre antique et la porte des Lions, à Vérone. Et c’est ainsi, comme une mode démodée qui revient à la mode, que le bucrane réapparaît sur le devant de la scène artistique. L’idée séduit la communauté des hommes de l’art qui, dès lors, exportent leur savoir-faire à travers l’Europe. Jusqu’à la pointe de la Bretagne occidentale qui porte encore la marque de cet ornement emprunté aux ruines romaines. Illustration s’il en est besoin que l’ouverture sur le monde est le terreau de la richesse humaine et que la culture y joue un très grand rôle.
[caption id= »attachment_2487″ align= »aligncenter » width= »300″] Bucrane de la chapelle de Saint-Herbot (29) sculpté sur la face inférieure d’un assis-debout.[/caption]
En France, ce style architectural italien donnera naissance à un avatar : le protomé de taureau. Ce motif taurin qui représente l’avant-corps d’un animal est employé comme élément décoratif ou servant de support dans des colonnes. Des nobles, soucieux de signer le rang de leur demeure, se sont jusqu’à une époque récente inspirés de cet art qui apparaît en Grèce au 7e siècle av. J.-C. et qui s’est déployé en Orient à l’époque des premiers empires perses. Aujourd’hui encore, à Plabennec (29), deux imposants protomés de taureau trônent à l’entrée des dépendances du château du Leuhan. Comme un lien du passé avec le présent dans cette commune où l’élevage est encore roi au 21e siècle.
Didier Le Du