Décriés au moment de leur instauration, les quotas laitiers ont été une base solide de structuration de l’agriculture bretonne.
À l’heure d’en sortir, on peut se demander quelle aurait été la Bretagne laitière d’aujourd’hui s’il n’y avait pas eu de quotas. Pour Gérard You, chef de Service conjoncture laitière à l’Institut de l’élevage, « il est bien difficile de répondre. Ce serait de la fiction. » Cependant, tous les observateurs s’accordent à dire que cette gestion administrée à partir de 1984 a profondément façonné le paysage agricole régional et l’ensemble de ses filières. Une fois instaurés, les quotas ont fait bouger les lignes et dessiner de nouveaux équilibres.
Des dynamiques régionales totalement figées
« Il y avait un dynamisme différencié selon les régions et la production laitière augmentait dans le Grand Ouest. L’option française de quotas non marchands rattachés au foncier a tout figé », rappelle l’économiste. Avec l’effet de stopper net la croissance de la filière dans des zones présentant les aptitudes nécessaires : « Ressources humaines, fourragères, climatiques… »
Alors qu’au début des années 80, la Bretagne avance dans une « logique de spécialisation des ateliers », la mise sous cloche ne s’est pas faite sans heurts : « D’abord, beaucoup de petites fermes ont payé des pénalités laitières pour dépassement », rappelle Dominique Raulo, porte-parole de la Confédération paysanne Bretagne. Ensuite, les quotas ont surtout provoqué des « ruptures de croissance » cassant les pattes de « tous les gens, notamment les jeunes, qui portaient des projets de développement en lait », poursuit Yves Bazy, de la section laitière de la FDSEA 22, installé producteur de lait en… 1983.
Entre 1983 et 1990, la production laitière bretonne a reculé de 16 %.
« Les quotas étaient dans les tuyaux, mais on y croyait sans trop y croire. Après, ceux qui rejoignaient une structure laitière familiale étaient contraints de lancer un nouvel atelier : volaille, porc, légumes, lapins… Chez nous, des taurillons pour remplir l’étable qu’on ne pouvait pas saturer des vaches. »
Les premières années de contingent sont le terreau de fortes mutations. « Entre 83 et 90, la production laitière bretonne a reculé de 16 % », note Yves Bézy. Gérard You va dans le même sens : « Dans cette logique de valorisation de productions annexes, le cheptel bovin a évolué. Sur cette période, une vache laitière était remplacée par une vache allaitante à l’échelle nationale. Parallèlement, de 84 à 92, les plans de cessation laitière ont accéléré le rythme des départs en retraite. »
Les quotas ont limité la casse sociale
Mais malgré tout, avec du recul, rares sont ceux de la génération quotas à les critiquer fortement. Véronique Le Floc’h, installée dans le Finistère, est membre de la Coordination Rurale et présidente de l’Organisation des producteurs de lait (OPL). Pour elle, « sans quota, la casse sociale dans les campagnes aurait été beaucoup plus forte avec une baisse bien plus rapide du nombre d’éleveurs. » Les autres syndicats le confirment. Dominique Raulo pense que la gestion administrée a favorisé « en Bretagne un tissu dense d’ateliers laitiers moyens, excellents aménageurs du territoire. » De plus, il constate que cet arrêt sur image a « donné de la crédibilité aux systèmes économes. Des éleveurs se sont dit : j’ai une référence à produire, comment le faire au moindre coût pour assurer mon revenu ? » À l’Institut de l’élevage, Gérard You abonde : « Les quotas ont vraiment donné du sens aux questions de recherche d’autonomie fourragère et de réduction des charges opérationnelles. Et jusqu’à récemment, la part des concentrés dans les coûts de production est restée assez faible. »
Arrivés plus tôt sur le marché mondial ?
Finalement, sans quotas, qu’aurait-il pu arriver ? Les exploitations laitières bretonnes se seraient beaucoup plus spécialisées et auraient grandi plus vite. « Toutefois, les questions environnementales nous auraient rattrapés plus vite pour freiner le mouvement. Alors que les laitiers auront donné un sacré coup de main aux filières hors-sol en tant que prêteurs de terre », note Hervé Moël, responsable de la section laitière de la FRSEA. « Nous aurions eu une filière aujourd’hui mieux structurée en termes de parc bâtiment », poursuit Véronique Le Floc’h. « Mais davantage d’endettement dans ces structures plus grandes et modernisées. Sans les quotas, le secteur aurait préservé également beaucoup moins d’emplois de techniciens, conseillers, comptables, chauffeurs… pour accompagner des exploitations moins nombreuses. »
Hervé Moël imagine aussi que les industriels auraient été contraints d’investir beaucoup plus tôt « car leurs outils n’auraient pas été suffisants pour transformer les volumes. Un peu comme les Néo-zélandais, les Bretons auraient alimenté plus vite le marché mondial. » Pour conclure, Yves Bazy, lui, s’interroge : « Jusqu’où aurions-nous pu aller sans quotas ? Il y avait un problème majeur. Pour l’Europe, assise sur un tas de beurre, le mécanisme d’intervention pour faire tampon était devenu un gouffre ingérable. Même si la gestion administrée a été un mal pour les jeunes en phase de lancement, ça a été plus globalement un bien pour l’agriculture bretonne. » Toma Dagorn
L’avis de Yves Bazy, Éleveur en Gaec à Plouasne (22)
Je suis passionné par l’élevage laitier. Mais installé en 1983, les quotas nous ont bridés. Pourtant, mes frères et moi avons toujours eu envie de faire du lait. Aujourd’hui, nous voulons finir notre carrière en nous spécialisant pour produire davantage. Il faudra être capable de répondre très vite dans les deux sens en fonction des besoins et des cours. Mais finalement, nous avons déjà testé la méthode en produisant tous les ans les volumes complémentaires accordés en fin de campagne par la laiterie. Nous sommes prêts. Et puis de nombreux éléments techniques existent pour optimiser son atelier et faire plus de lait par vache et par UTH : automatisation, robotisation de l’alimentation, semence sexée, détection des chaleurs, monitoring pour suivre de plus grands troupeaux.