Prix de rachat de l’électricité insuffisant, coûts de main-d’œuvre au-dessus des prévisionnels, charges de fonctionnement qui explosent, les agriculteurs méthaniseurs de France dénoncent le peu de rentabilité des unités de méthanisation en fonctionnement depuis plusieurs années.
La méthanisation agricole peut apporter une réponse à la production d’énergie renouvelable et à la réduction de gaz à effet de serre. Les politiques tarifaires des états de l’Europe sont différentes et les résultats économiques peuvent être préoccupants. L’association des agriculteurs méthaniseurs de France (AMF) a dénoncé, lors du Sima, à Paris, les différents problèmes qui plombent les résultats des unités de méthanisation en fonctionnement depuis plusieurs années dans l’hexagone.
L’Allemagne et l’Italie ont développé la filière grâce à des tarifs attractifs
Bertrand Guérin, agriculteur en Dordogne, possédant une unité de méthanisation en fonctionnement depuis trois ans et administrateur à l’AMF, a livré le retour d’expérience de 10 unités de méthanisation. « Nous avons mené une enquête sur des installations représentatives fonctionnant depuis 2 à 5 ans et d’une puissance allant de 190 kW à 1,4 MW. » Pour l’agriculteur, la question de rentabilité tourne autour du montant à investir à la base du projet et du tarif de rachat, auxquels il ne faut pas oublier d’ajouter les frais de maintenance et la main-d’œuvre que mobilise cet investissement.
La comparaison avec le système allemand est inévitable et le pays a fait un vrai choix politique pour développer les énergies renouvelables, quitter le nucléaire en faisant payer aux consommateurs cette stratégie. « En Allemagne, jusqu’en 2012, le prix de rachat de l’électricité produite par la cogénération pouvait aller jusqu’à 237 €/ MWh alors qu’en France, aujourd’hui, on est autour de 200 €/MWh. L’Italie a aussi réellement incité à développer la méthanisation en proposant entre 2009 et 2012 des prix de rachat de l’électricité avec des tarifs uniques de 280 €/MWh. De plus, l’Allemagne a permis de mettre en place des cultures comme le maïs pour produire du biogaz. Cela représente à ce jour plus d’un million d’hectares. Nous en sommes bien loin chez nous », précise Denis Olivier, du groupe Trame. En France, seuls les inter-cultures (Cive) peuvent aller dans le méthaniseur. « Nous conseillons aux porteurs de projets d’anticiper et de faire de gros stocks dans leurs silos afin de faire tourner au maximum l’installation de méthanisation », lance Bertrand Guérin.
Maîtriser le niveau d’investissement
La maîtrise du niveau des investissements est indispensable à la rentabilité des installations. Certaines installations possédaient déjà des stockages ce qui a diminué le montant à investir et les subventions accordées ont été en moyenne de 25 %. Au final, sur les 10 unités enquêtées, l’investissement brut s’élève à 5 300 €/kW ce qui donne du 4 000 €/kW nets après subvention. On constate des écarts allant de 3 000 à 5 100 €/kW nets justifiés en partie par la taille du projet mais aussi par de grosses différences de prix pratiqués par les entreprises sur des installations de taille équivalente. « Il faut privilégier l’expérience et l’ancienneté des entreprises et des bureaux d’étude », conseille l’administrateur de l’AMF.
Coûts de main-d’œuvre de 25 €/MWh
« Lorsque l’on nous a vendu nos installations, on nous disait : c’est facile et il y a peu de temps à passer », relate l’agriculteur. Dans la réalité, le temps passé est bien supérieur aux valeurs données dans les business plans. « C’est bien plus que les 1 h 30 tous les jours de l’année annoncés. Il faut y ajouter la gestion administrative, l’astreinte, l’épandage, le suivi des réparations de maintenance… Ce coût de main d’œuvre représente en moyenne 25 €/MWh. Il varie de 12 à 46 €/MWh sur les 10 installations enquêtées. » Les charges de fonctionnement (électricité, assurances, maintenance, consommables, retour au sol du digestat…) de l’unité de méthanisation sont bien au-delà de ce qui était calculé dans les prévisionnels. « Il faut prévoir une provision pour réparations de plus de 10 % de la valeur ajoutée ou un contrat de maintenance full service. Les coûts de fonctionnement s’élèvent en moyenne à 53 €/MWh soit 30 % du chiffre d’affaires. » Les agriculteurs qui ont répondu à l’enquête constatent que les résultats nets sont décourageants. Celui-ci varie de 11 €/MWH pour le plus rentable à -39 €/MWh chez celui ayant le plus de difficultés, et cela, malgré les aides à l’investissement. « Les installations qui sont à l’équilibre ont de très bonnes performances techniques et tournent plus de 8 000 h/an. Ceux qui sont en négatif, perdent de 16 à 39 €/MWh, ont du mal à faire leurs heures en cogénération et n’ont pas la capacité à rémunérer le travail des associés. Ce résultat peut vite être catastrophique en cas de souci technique ou de perte de marché de matière. »
Nicolas Goualan
L’avis de Jean-Jacques René, Pôle énergie GES des Chambres d’agriculture de Bretagne
Le discours des méthaniseurs de France est peut être un peu alarmiste. Nous n’avons jamais dit que la méthanisation serait quelque chose de facile, nous devons lever les difficultés rencontrées d’autant que la méthanisation agricole est cohérente avec un plan climat. Elle utilise la biomasse et les déjections animales pour en faire un fertilisant et capte le méthane qui est utilisé pour en faire de la chaleur et de l’énergie. De plus, la méthanisation peut s’inscrire dans un programme de modernisation des exploitations agricoles tout en répondant à des objectifs environnementaux. Nous travaillons sur la petite méthanisation à la ferme ou sur des petits projets collectifs, l’objectif étant d’utiliser une majorité d’intrants venant de l’exploitation tout en visant l’autonomie car nous sommes avant tout agriculteurs.