Les pierres sont une composante de nos sols, et elles ne demandent qu’à être mises en surface pour nous raconter notre histoire.
C’est le nez vers la terre que Patrick Picart sillonne ses cultures et ses pâtures, comme beaucoup d’agriculteurs. Mais pour lui, en plus de diagnostiquer les causes d’un état sanitaire ou de reconnaître les mauvaises herbes des champs, son œil est attiré par autre chose. L’éleveur traque sans relâche des « cailloux », comme il aime les appeler, qui tapissent nos sols depuis des milliers d’années. « J’ai commencé à regarder de plus près les pierres trouvées quand je sarclais les betteraves étant petit sur l’exploitation familiale. La question de la provenance de ces cailloux m’a depuis passionné », se souvient-il. De recherches en rencontres, l’homo sapiens bodilisien a remonté le temps, pour revenir au mésolithique.
De la pierre taillée à la pierre polie
L’époque préhistorique, nommée Paléolithique, prend fin vers – 12 000, avec la fin d’un cycle de glaciation de la terre, suivie du Mésolithique et du Néolithique, ce dernier étant caractérisé par le début de l’agriculture. L’homme est alors passé d’un comportement de chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur-éleveur en se sédentarisant. C’est ce fameux Mésolithique qui intéresse notre éleveur finistérien. « C’était une civilisation du bois. Malheureusement, les sols acides bretons ont consommé les outils organiques. Seules les pierres taillées à base de silex sont restées conservées. L’outillage confectionné correspondait aux cailloux trouvés : les gros galets servaient à la fabrication de pointes aziliennes, les petits étaient utilisés pour les modèles plus réduits.
Les températures de la région avoisinaient les -25°C. À la fin de la période de glaciation, le niveau de la mer est remonté de 60 à 70 mètres en quelques millénaires. Ce sont des peuples qui savaient très bien s’adapter », pense Patrick Picart. Le Mésolithique voit vers – 10 000 la disparition des derniers grands chasseurs nomades. Les terrains de prospection se sont réduits, en témoignent les gisements importants de silex trouvés au même endroit. « Il n’y a pas de silex dans les sols en Bretagne. Ils ont donc forcément été amenés par l’homme, lors de campagne de chasse ou par du troc opéré au Néolithique.
Le silex est une pierre se taillant relativement facilement, donnant toujours un côté tranchant. Pour les tailler, l’homme utilisait des pierres tendres comme de la dolérite ou du grès éocène. À défaut de silex, ils utilisaient des micro-quartzites provenant de la Forêt-Landerneau (29) ou de la calcédoine du Sud de la région. On peut parler de premières industries, car l’homme travaillait la matière première, avait une certaine technologie qu’il modifiait avec l’expérience ».
Une pierre dans le cœur
Comme le fait remarquer Patrick Picart, les pierres ont une place importante dans les fermes. « Beaucoup d’agriculteurs collectionnent sans le savoir des cailloux qu’ils trouvent tout simplement beaux, ils les posent dans un endroit du bâtiment. Ce n’est pas anodin ». L’homme a utilisé pendant des millénaires ces ressources naturelles. « Nous sommes tous attirés par un joli galet sur une grève, une pierre blanche dans un champ, et nous apprécions leur contact dans la paume de la main. C’est inscrit dans nos gènes ». Le jour où l’homme se séparera définitivement de ces matières brutes n’est pas pour demain.
Outils simples de chasse ou de préparation de nourriture, les pierres taillées pouvaient servir d’arme de guerre, comme le démontre « le cadavre d’un individu retrouvé sur l’Île de Téviec (56), transpercé par une flèche avec un triangle scalène planté dans la colonne vertébrale ». Parmi les pièces retrouvées par Patrick Picart, une d’entre elles le laisse encore sans réponses.
Le mystère des pointes de Bertheaume
Le Mésolithique a accueilli sur les terres de Bretagne, plus précisément sur notre délimitation actuelle du Finistère, une population particulière. « Entre -8 500 et -6 500, une civilisation s’est ancrée sur la pointe bretonne. Nous retrouvons des pointes de Bertheaume, toute petite pierre de la taille d’une allumette taillée sur trois faces. Nous ignorons encore à quoi elles pouvaient servir, peut-être pour une pêche particulière ? La technicité avec laquelle la pointe était réalisée montre à quel point il s’agissait d’un outil essentiel ». La maîtrise des matériaux laisse à penser que le bois devait lui aussi être bien façonné, notamment pour des manches ou des flèches dont la pierre était tenue par une branche de noisetier et collée avec de l’ambre ou peut-être des boyaux. Les archéologues parviennent de nos jours à dater et à retrouver les lieux de vie de ces hommes, les pierres étant codifiées selon le territoire ou vivaient ces individus.
[caption id= »attachment_1499″ align= »aligncenter » width= »248″] En fin de période de glaciation, vers – 10 000, le niveau de la mer était 50 mètres plus bas que de nos jours (Source : Grégore Marchand)[/caption]
Fouilles archéologiques et travail du sol
Selon le producteur, les outils de travail du sol n’abîment pas les sites. « Le sol a été travaillé dès le Moyen-Âge de façon intense. À partir du moment où l’on reste sur les 20 premiers centimètres de terre, les pierres sont peu détériorées. Toutefois, les machines utilisant des axes horizontaux comme les rota labours sont plus agressives. Mais le retournement de nos parcelles met à jour des restes d’outil qui n’auraient jamais été découverts sans ce travail ». Certains sites sont cependant en danger, en proie à l’urbanisation ou par des phénomènes naturels comme l’érosion des côtes par la mer. « J’ai de très bonnes relations avec les archéologues. C’est en travaillant en bonne entente avec les prospecteurs que l’on trouve le plus de choses », admet-il. Chacun peut désormais regarder autrement ses champs, seuls témoins gardant précieusement les trésors créés et manipulés par nos ancêtres à la naissance de l’agriculture. Fanch Paranthoën