L’agriculture s’oriente vers plus de précision, permise notamment par les sauts technologiques. Le traitement des données collectées en masse n’est pas toujours simple.
« Nous allons passer d’une agriculture utilisatrice d’intrants à une agriculture utilisatrice de connaissances, où le numérique et les objets connectés seront fondamentaux. » C’est un agriculteur qui le dit : Hervé Pillaud, éleveur laitier, président du groupe Etablières et de Vendée Réseaux Sociaux. « Nous vivons un changement de civilisation et une véritable transition de l’agriculture », a-t-il déclaré lors de la journée Innovations et technologies 2015 organisée par l’Arsoe de Bretagne à Pacé. Le numérique va permettre une gestion plus fine de l’agriculture, il va aussi être un outil pour recréer du lien direct entre les producteurs et les consommateurs, qui se sont éloignés du monde agricole. Le champ des possibles est gigantesque et nous ne sommes qu’à l’orée de cette ère technologique.
De nouveaux horizons avec l’imagerie 3D, les robots…
Aujourd’hui, 30 % des agriculteurs possèdent une tablette, 50 % un smartphone, ce qui n’est pas plus que la moyenne de la population. Mais au niveau de leur métier, ils sont d’ores et déjà de grands consommateurs de technologies. De nombreux élevages sont équipés de capteurs, drones, RTK, robots connectés… Certains ont démontré leur intérêt, comme les détecteurs de chaleur ou de vêlage. Et de nouveaux horizons s’ouvrent avec l’enregistrement de nouvelles informations difficilement observables par l’homme (odeurs ou microorganismes sur les plantes par exemple…).
Nous ne devons pas être aveuglés par la technologie. Le traitement des données reste un point bloquant.
Comme le précise une étude sur l’élevage de précision, menée par l’Institut de l’élevage et l’Inra, l’imagerie 3 D pourrait permettre d’estimer objectivement et précisément la NEC (Note d’état corporel) liée à la productivité et la longévité des animaux. « En France, près de 4 000 exploitations sont équipées de robots, avec leurs lots de capteurs qui pourraient permettre un phénotypage à grande échelle, pour améliorer la précision de la sélection sur des caractères existants, ou permettre le développement de nouveaux caractères », note Clément Allain, de l’Institut de l’élevage.
La vitesse de traite, le tempérament, la conformation de la mamelle… pourraient être massivement observés. Les capteurs embarqués sur les animaux pourraient, outre la production d’alertes (chaleurs…), être utilisés pour le phénotypage. « Les données peuvent permettre demain d’améliorer l’épidémiosurveillance, de réaliser de la recherche à moindre coût. »
Besoins d’expertises
« Aujourd’hui, chacun peut collecter des données du fait des coûts en baisse des diverses technologies. Elles sont acceptées par le monde agricole et vont se diffuser encore plus rapidement. Mais nous ne devons pas être aveuglés par la technologie. Le traitement des données reste un point bloquant », précise Benoît de Solan, d’Arvalis. « Capter les données ne suffit pas. Il faut mettre en place leur traitement et leur valorisation. La R&D doit aller jusqu’au stockage des informations et la fourniture d’un service aux entreprises de conseil et aux agriculteurs », souligne Fabien Gobert, responsable R&D Arsoe de Bretagne. Autant que la récolte d’informations, le besoin d’expertise sur ce « Big Data » est énorme.
Farmstar, utilisé par plus de 14 000 agriculteurs en France, est un bel exemple de complémentarité des nouvelles technologies (images satellites Airbus Defence and Space) et de l’expertise agronomique (Arvalis et le Cetiom). Des modèles de développement de croissance des cultures ont été mis au point, en incluant des données météorologiques journalières. Le service va jusqu’à la préconisation de dose d’azote adaptée aux besoins dans les parcelles. Et s’affine continuellement : sur l’estimation du risque de verse, avec des alertes maladies plus complètes (contre la septoriose)…
Les nouvelles technologies bouleversent aussi les métiers de conseil. « Avant, sur une parcelle de blé par exemple, nous récoltions manuellement de l’information sur quelques m2. Aujourd’hui, les capteurs génèrent de gros volumes de données que nos systèmes actuels ne savent pas gérer », évoque Benoît de Solan.
Garder la main
« Les organisations professionnelles agricoles doivent peser pour l’interaction entre les plates-formes. Le risque demain est de dépendre de groupes extérieurs », insiste Hervé Pillaud. Monsanto par exemple a récemment fait l’acquisition d’une société de traitement de données. Sera-t-il demain un vendeur de données plutôt que d’agrochimie ? Ou plus sûrement des deux. Agnès Cussonneau
L’avis de Hervé Pillaud, Producteur de lait, président de Vendée RS (association de promotion des médias sociaux)
Les nouvelles technologies ne se développeront que si elles correspondent à des besoins. En agriculture, ils sont multiples : besoin de fiabilité, de simplification du travail, de gains de productivité, environnementaux, de répondre aux sollicitations de la société : moins d’intrants, d’antibiotiques… Par ailleurs, les agriculteurs n’ont pas, selon moi, à être propriétaires des données, mais doivent rester maîtres des décisions sur leur exploitation, ne pas devenir des sous-traitants des machines, et de ceux qui les vendent.