Depuis plus de 30 ans, la consommation mondiale, en augmentation, a collé à la production, jusqu’à l’an dernier. L’attitude des agriculteurs américains face au semis du maïs aura un impact fort sur les prix, dans les prochaines semaines. Explications.
Lorsque le « farmer » américain regarde sur son écran d’ordinateur, le cours du maïs à Chicago pour la prochaine campagne, son sang ne fait qu’un tour. À 4,20 $/boisseau*, l’équivalent de 150 €/t, il estime que cela n’est pas cher payé. Comme ses homologues argentins, brésiliens ou ukrainiens, il doit faire face à des coûts de production en hausse. Or, à ce prix-là, se pose la question de savoir s’il ne vaut mieux pas changer son fusil d’épaule et planter plutôt du soja ou encore du blé de printemps et pourquoi pas du sorgho dans les prochaines semaines. La réponse à cette question ne se trouve pas dans les premières estimations de l’USDA, qui auront encore le temps de changer avant que les surfaces semées ne soient connues avec précision. Car le choix d’emblaver ou non du maïs dépend de nombreux critères, aussi bien économiques, pédoclimatiques… que psychologiques. Et oui, on est avant tout fier de semer du maïs dans la Corn Belt !
L’hégémonie historique des États-Unis
Les USA sont devenus les premiers producteurs de maïs au monde, il y a déjà bien longtemps. Aujourd’hui, ils cultivent 36 % du total mondial, devant la Chine (22 %), le Brésil et l’UE (7,5 % chacun). Leur récolte est passée de 152 Mt à 361 Mt de 1990 à 2014. Pour arriver à ce résultat, les agriculteurs ont mobilisé 10 M hectares supplémentaires sur cette période, totalisant 36,7 M ha à ce jour. Le rendement a aussi progressé de 41 %, passant de 75 q/ha à 106 q/ha. Dans le même temps, en France, notre rendement augmentait (sans OGM) de 61 q/ha à 102 q/ha, pas de quoi avoir honte. Mais les surfaces françaises restent scotchées aux alentours des 1,5 M ha, loin derrière le blé tendre (5 M ha). La progression de la production de maïs aux États-Unis, a correspondu jusqu’aux années 2000, à une demande de la part de l’élevage en perpétuelle augmentation. Mais à partir de 2002, un deuxième réacteur va être allumé à cette fusée, l’éthanol. Ce nouveau débouché va alimenter la croissance de la demande interne les années suivantes. En effet, le maïs va devoir céder un peu de place en alimentation animale, aux drêches issues des éthanoleries. Le biocarburant, qui représentait 12 % des usages internes en 2002, en totalise aujourd’hui 42 %. Cette saison, les deux postes sont à égalité, avec 135 Mt atterrissant dans les auges et le même volume dans les usines d’éthanol.
Quels tonnages à l’horizon 2015/2016 ?
Les estimations relatives à la production mondiale de maïs en 15/16, tombent les unes après les autres. Le Conseil International est le plus pessimiste, annonçant 941 Mt contre 990 Mt cette saison. Ce recul (en grande partie lié à une baisse des rendements) permettrait aux stocks de report de fondre de 20 Mt. La chute de ces réserves concernerait avant tout les pays exportateurs comme les USA ou l’Ukraine. D’autres analystes sont plus conservateurs, avec des prévisions à 965 Mt.
Le bioéthanol impacte le prix du maïs
Si les USA sont les plus grands exportateurs au monde, il faut comprendre que ce poste de leur bilan n’est qu’une variable d’ajustement. Depuis 1990, les ventes vers les pays tiers se montent à 47 Mt, avec quelques ajustements les années de bonne ou de mauvaise récolte. Et pourtant, avec 40 % de part de marché dans le négoce mondial (17 % et 15 % respectivement pour le Brésil et l’Ukraine), les USA font la pluie et le beau temps sur le marché international. La santé des productions animales aux USA, mais aussi celle de l’éthanol décident du prix mondial, et non l’inverse. Le souci, c’est que depuis deux ans, le réacteur biocarburant s’est éteint. Les volumes d’incorporation obligatoire touchent leurs limites réglementaires. Pour continuer à croître, il faut donc trouver des débouchés à l’exportation, ce qui est nettement plus compliqué. Or les « farmers » continuent à planter comme si de nouvelles usines d’éthanol allaient pousser comme des champignons dans la campagne américaine, ce qui n’est plus le cas. On peut d’ailleurs expliquer en partie, la baisse du prix mondial depuis deux ans par cette explication. Car bon an, mal an, depuis plus de 30 ans, la consommation mondiale a collé à la production, sauf l’an dernier.
Satisfaire les besoins chinois
La Chine, dont la production est passée de 95 Mt à 210 Mt de 1990 à 2014, est passée d’exportateur net à importateur net depuis 2007. Les volumes restent faibles (2/4 Mt selon les années) mais pourraient progresser. Le ratio stocks/consommation dans le pays a chuté de 30 % il y a 35 ans, à 15/20 % depuis 2002. Si jamais, pour des raisons environnementales, le gouvernement voulait accroître la production de biocarburants à partir du maïs (l’interdiction a été levée récemment), cela mettrait en péril un bilan déjà tendu. On comprend mieux les accords passés avec des pays comme l’Argentine ou l’Ukraine (en mal de liquidités), pour s’approvisionner.
Alors que nous sommes aux portes du milliard de tonnes de maïs produit dans le monde, et que les stocks culminent à 193 Mt, la décision que prendront les agriculteurs américains ne semer ou non du maïs, aura forcément un impact fort sur les prix, dans les prochaines semaines, notamment parce que les investisseurs qui ont fait un pari baissier, pourraient revoir leur stratégie. De plus, au-delà des surfaces, ce sont les rendements qui font les prix. Et il arrive souvent qu’après une année exceptionnelle, les rendements chutent… Gardons cela en mémoire. Patricia Le Cadre, Céréopa, www.vigie-mp.com
* Un boisseau de maïs correspond à 25,4 kilos