Demain, il faudra produire plus avec moins pour nourrir la planète. De nouveaux concepts agroécologiques émergent. Mais qu’en est-il de leur rentabilité ?
Agriculture Écologiquement Intensive (AEI), Agriculture Écologiquement Performante (AEP) : ces nouveaux sigles préfigurent l’agriculture de demain, confrontée au défi de produire plus avec moins. Aujourd’hui, nombre de groupes d’agriculteurs innovent sur les techniques culturales et s’intéressent à la vie du sol. Le recul sur ces expériences est encore limité, mais souvent concluant d’un point de vue pédologique et écologique dans le sens premier du terme, c’est-à-dire, la relation entre les êtres vivants et leur milieu. Mais déjà se pose la question de connaître la performance économique de ces pratiques.
De la technique à l’économique
D’un point de vue agronomique, les critères couramment utilisés sont :
- L’Indicateur de fréquence des traitements (IFT),
- Les unités N – P/ha (organique – minéral) avec la notion de balance azotée qui fait le lien entre les besoins des cultures et les apports,
- Pour qualifier l’assolement et la rotation, on regarde le nombre de cultures, le % de légumineuses ou protéagineux, le % herbe dans la SAU, dans la SFP,
- Le rendement…
Ou plus finement le nombre de carabes, de vers de terre…
Quand on commence à faire une analyse plus économique, on utilise des critères technico-économiques comme :
- La marge sur intrants (€/ha),
- Les intrants en €/t,
- La marge brute/ha en €.
Cette première approche économique rend compte en partie de l’efficacité des pratiques. Mais avec l’agriculture de demain, la recherche sera peut- être moins tournée vers la performance culturale, mais plus vers une performance économique globale qui intégrera l’effet des rotations, l’effet des économies sur les charges de structure (moins de carburant, moins de matériel et donc moins d’amortissement, de frais d’entretien, de frais financiers…)
En terme économique, le revenu par UTH au travers du résultat courant ou du revenu disponible est systématiquement analysé. Si on veut juger de la performance technique, les taux de marge, de valeur ajoutée ou d’EBE sont mis en avant. Les coûts de production, de revient et le point d’équilibre sont calculés. À cela se rajoute une analyse financière à travers les ratios de taux d’endettement, de fonds de roulement…
Durable si vivable
Quelles que soient les voies explorées, un préalable s’impose : un système ne sera durable que s’il permet à l’agriculteur de vivre. Il devra concilier la performance technique, la productivité de la main-d’œuvre (salariée ou exploitant), le niveau d’investissement et d’implication financière. À cet égard, le schéma partant de la valeur ajoutée (voir ci-dessus), auquel il faut rajouter les aides Pac, qui permet de rémunérer la main-d’œuvre et de rembourser le capital, est parlant. Ce schéma permet de dégager 3 axes de travail :
- La valeur ajoutée dégagée,
- La main-d’œuvre,
- Les investissements et les annuités.
Ces trois axes de travail sont à analyser ensemble et en relation les uns avec les autres. Pour analyser des systèmes qui concilient agronomie et économie, il faut connaître la variabilité des systèmes et avoir hiérarchisé les facteurs importants de variation.
Ainsi en production laitière, à conjoncture identique pour chaque éleveur, c’est le coût alimentaire et l’élevage des génisses qui influencent le plus le résultat, deux fois plus que la quantité vendue. Les critères lait par VL ou le chargement n’expliquent rien en termes économiques.
En grandes cultures en Bretagne, les intrants par ha expliquent entre 0 et 12 % du rendement. Il faut mettre cela en relation avec une part importante d’apports organiques. Le rendement lui-même explique seulement 40 % de la marge sur intrants en année de prix bas, et à 72 % en année de cours élevés. Les intrants par tonne expliquent 45 à 57 % de la marge sur intrants. Il importe donc d’analyser ce critère en lien avec le potentiel du sol et la rotation.
[caption id= »attachment_2340″ align= »aligncenter » width= »294″] Durabilité des exploitations[/caption]
Peu de références
En allant au-delà des charges opérationnelles, il faut prendre en compte également l’aspect mécanisation. En Techniques culturales simplifiées (TSC), une étude de 2008 du CerFrance Bretagne montrait déjà que les coûts de mécanisation et de carburant sont inférieurs avec le semis direct. D’après la Chambre d’agriculture de Bretagne, dans son guide sur les TCS, le rendement est identique ou légèrement inférieur au rendement après labour et l’efficacité des engrais identique. Si on fait un exemple théorique avec une perte de 5 quintaux par hectare en blé, la marge brute baisserait de 85 € par ha pour un prix des céréales de 170 €/t. La différence de valeur ajoutée ne serait plus que de 38 €/ha compte tenu des économies de carburant et, avec le gain sur les annuités l’écart devient nul. À ceci se rajoute un gain de temps de travail de l’ordre de 30 %. Cet exemple théorique, mais proche de certaines situations, montre bien que l’analyse doit être de plus en plus globale en intégrant non seulement les charges opérationnelles, mais aussi les investissements et la main-d’œuvre.
Pour l’instant, aucune approche pour caractériser conjointement performance agronomique et économique ne fait référence. Comme les liens entre elles ne sont pas systématiques et dépendent également de l’atelier animal souvent associé, il faut réfléchir à des présentations séparées, l’objectif étant d’être bien positionné dans les deux analyses. Mais pour l’heure tout reste à construire, à l’exemple de l’approche de l’Arad 2 qui, dans ses cahiers, analyse la performance d’exploitations en agriculture de conservation en Normandie.
Anne-Yvonne Hénot / CerFrance Finistère