À la mobilisation, si l’enthousiasme des femmes des villes est l’égal de celui des soldats, dans les campagnes, il en va autrement. Les paysannes savent la somme de travail que va représenter le départ des hommes, surtout lors de la mobilisation générale, en ce plein été 1914.
Quand on parle de la Grande Guerre, on pense aux soldats, aux batailles, aux tranchées… mais bien moins souvent aux femmes, restées à l’arrière. Devenues chefs de famille, les femmes se mobilisent et vont participer, elles-aussi, à l’effort de guerre. Mais l’image souvent retransmise concerne les infirmières « anges blancs » ou les « munitionnettes », ces ouvrières mobilisées dans les usines d’armement à partir de fin 1915 alors que la guerre s’éternise.
La mobilisation agricole, une priorité
Dans une France à dominante agricole et rurale, 850 000 femmes se retrouvent à la tête d’une exploitation, sans compter les 300 000 épouses d’ouvriers agricoles, privées du revenu de leur mari. Elles vont assumer, dès l’été 1914, les travaux des champs tout en tenant leur rôle de mère et de soutien auprès du mari ou de leurs fils, partis se battre au front. Aidées par les personnes plus âgées et les jeunes adolescents, « ces remplaçantes » vont accomplir le travail des fermiers, dans un grand élan patriotique. Le 7 août 1914, le discours de René Viviani, président du Conseil, affiché dans les lieux publics, encourage les paysannes à terminer les moissons interrompues, pour l’approvisionnement du pays et des troupes engagées dans le conflit. « Debout femmes françaises, jeunes filles et fils de la Patrie ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. » S’il songe alors à une guerre courte, le gouvernement a minoré le rôle des femmes qui va devenir primordial dans ce conflit, et ce, durant quatre ans.
Un besoin de main-d’œuvre
Mais cet appel aux femmes ne permet pas de faire face à la pénurie de main-d’œuvre. Si la récolte de l’été 2014 est faite, les champs sont ensuite travaillés au prix de lourds efforts physiques car les animaux de trait, chevaux et bœufs, sont réquisitionnés. Des allocations militaires leur permettent d’embaucher une main-d’œuvre manquante. « Les travaux de sarclage et de fenaison ne se firent pas sans difficulté. Les femmes du bourg furent prévenues par la mairie qu’elles devaient toutes aider aux travaux des champs, mais il n’y en avait pas assez. Les fermières proposèrent des prix de plus en plus forts, par crainte de ne pas être servies : ce fut une prime à la surenchère », relate le prêtre de Gouesnou (29), en 1915, dans son registre qui décrit la vie de ses paroissiens « à l’arrière ». Les Gouesnousiens préféraient s’entraider entre voisins ou parents, les soldats retenus dans les dépôts ne sachant pas ou ne voulant pas travailler, décrit le journal. Des travailleurs étrangers ou prisonniers de guerre allemands faisaient parfois office d’ouvriers agricoles, comme à Plabennec ou Bourg-Blanc (29), en 1916. Ce sont la machine et la mécanique qui viennent pallier ce problème. « Le nombre de faucheuses et moissonneuses augmenta et les femmes qui savaient conduire allèrent dans les fermes voisines couper avoine et froment. » Ces investissements, encouragés par le Gouvernement pour fournir le ravitaillement de l’Armée, ont permis « aux femmes de suppléer les hommes aux cultures, laissant peu de parcelles en friches dans la commune » comme le mentionnent les notices communales de Brusvily (22), en 1919.
Émancipation éphémère
Suite aux révolutions industrielles, au 19e siècle, le travail des femmes avait pris son essor. La contribution de ces dernières à l’effort de guerre sur la période 14-18 va bouleverser leur vie. À la campagne ou à la ville, elles vont accumuler des tâches éprouvantes et assumer seules une période de privations et de souffrances. Fait nouveau, elles ont accès à des travaux qui, jusqu’alors, sont traditionnellement réservés aux hommes. Avec cette prise de responsabilité, elles vont s’émanciper. Mais ce fait sera de courte durée. Le retour des hommes du front ou des camps de prisonniers se traduit par un retour « à la normale », à la maison, pour combler le déficit démographique et limiter le chômage des hommes. À la fin du conflit, leur rôle a vite été oublié par la mémoire collective. Mais il a lancé un regard nouveau sur le statut de la femme au sein de la famille et de la société. Malgré le rôle majeur qu’elles ont pu avoir durant la Grande Guerre, il faudra attendre 1944 pour que les femmes françaises obtiennent le droit de vote. Leurs voisines britanniques pourront, elles, voter dès 1918.
Faire face à la pénurie de denrée de première nécessité
Et si la gestion de l’exploitation est devenue leur tâche quotidienne, elles n’en oublient pas moins leur rôle de chef de famille. Nourrir la famille et envoyer des colis de provisions aux êtres chers sur le front. Sans être affamée, la Bretagne est néanmoins touchée par la pénurie de produits comme le sucre, le sel, le bois… Les trains, réquisitionnés pour le transport des troupes, n’acheminent plus les produits de première nécessité. Et des taxes apparaissent. « Le son, distribué aux vaches, fut taxé dès 1916, le beurre diminua », décrit-on à Gouesnou. Mais « grâce aux allocations militaires, et aux bénéfices réalisés sur la vente des produits de la ferme, les gens sont en général aisés et acquittent leurs fermages, sans utiliser du moratorium », écrit l’instituteur de Broons (22) dans ses notices. La cherté de la vie et les ennuis des restrictions s’accentuent néanmoins jusqu’à l’apparition des tickets de rationnement à partir de l’été 1918. Carole David
Informations
- Musée de la Grande Guerre, à Meaux (77)
- Archives départementales
- Et de nombreuses expositions en Bretagne par les associations de Patrimoine.