L’agriculture fait partie des secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Être force de propositions, en mettant l’économique en parallèle, est sans doute préférable au réglementaire… L’alimentation animale avance sur cette thématique.
Dans l’objectif français de réduire les gaz à effet de serre (Ges) de 80 % en 2050 par rapport à 1990, l’agriculture a un rôle à jouer. Au niveau national, sa participation atteint 20 % des émissions globales (avec la pêche), les transports pesant pour 28 % et le résidentiel pour 20 %. En Bretagne, la part de l’agriculture/sylviculture est sans surprise plus élevée, avec 45 % des émissions de Ges.
Soulignons que l’agriculture est un secteur bien particulier avec une part de seulement 11 % de CO2 dans les Ges dégagés (lié à la consommation d’énergie). Le protoxyde d’azote (N2O), dû à la fertilisation azotée, aux sols et, dans une moindre mesure, aux déjections animales, pèse 51 % des rejets. Représentant 38 %, le dégagement de méthane (CH4) est surtout provoqué par la fermentation entérique (digestion des animaux, notamment des ruminants) et les déjections animales.
Quelles évolutions à quels coûts ?
Même si le secteur agricole a déjà abaissé sa contribution aux Ges depuis 1990, grâce à une meilleure productivité, des évolutions génétiques, une connaissance accrue des besoins des animaux et des matières premières, ou encore la réduction des apports d’azote…, de nouvelles adaptations des systèmes devront être envisagées. « La question est de savoir si les agriculteurs souhaitent prendre en main ce dossier, l’anticiper, ou attendre qu’une réglementation intervienne. L’enjeu est de voir quelles évolutions peuvent être envisagées pour quels coûts », note Catherine Brocas, de l’Institut de l’élevage. « De même, la question des Ges ne devra pas être déconnectée des autres enjeux environnementaux comme la qualité de l’air et de l’eau, la biodiversité. »
Selon la démarche Climagri* appliquée à la Bretagne, 73 % des émissions de Ges agricoles sont liées à l’élevage. Et les Ges directs sont plus importants que les Ges indirects (fabrication et transport d’intrants). Les bovins laitiers pèsent le plus dans les Ges directs. Des démarches visant à améliorer l’empreinte écologique de ces élevages existent déjà, d’autres devront être imaginées. En parallèle, la filière française appuie au niveau européen pour que le stockage du carbone dans les prairies, les haies… soit pris en compte dans les bilans. « Nous sommes désormais de plus en plus suivis par d’autres pays européens. L’approche est aujourd’hui simpliste, nous devons creuser cette thématique. »
L’alimentation animale se crée des outils
De son côté, l’alimentation animale – utilisant des surfaces bretonnes, mais important aussi une large quantité de matières premières – représente 64 % des émissions indirectes. Depuis plusieurs années, ce secteur se préoccupe des aspects « durables » de ses activités. Le soja notamment est souvent pointé du doigt par les ONG sur les aspects de déforestation. Dans le cadre du Space, Nutrinoë (organisation représentant les entreprises bretonnes de nutrition animale) avait organisé un colloque baptisé « Nutri Climat 15 ».
La démarche Duralim y a été présentée ; elle devrait aboutir en fin d’année à une « charte partagée de la durabilité de l’alimentation des animaux d’élevage ». « Cette démarche est ouverte très largement, des fournisseurs de matières premières aux consommateurs et ONG, en passant par les éleveurs, les transformateurs, les distributeurs… », précise Valérie Bris, directrice adjointe de Coop de France Nutrition Animale. Plusieurs axes de progrès sont envisagés, comme la connaissance des réglementations et initiatives des pays d’origine des matières premières, la durabilité des approvisionnements en protéines, le développement de l’agriculture de précision et du biocontrôle…
Le rôle premier des matières premières
En nutrition animale, le transport et le process de fabrication ont une incidence réduite sur les émissions de Ges, ce sont surtout les matières premières qui sont en cause. Lors du colloque, a également été présentée la base de données Écoalim qui permet de mesurer leur impact environnemental. « 60 matières premières et 150 données sont recensées. Les résultats sont exprimés pour 1 kg de matière première. C’est par ailleurs la première base de données avec différents itinéraires techniques. Nous souhaitons l’inscrire dans une base de données européenne », précise Sandrine Espagnol, de l’Ifip.
« Pour réduire les émissions, les filières d’élevage doivent continuer à réduire l’indice de consommation via la génétique, le sanitaire, le bâtiment… L’efficacité des rations peut aussi être accrue, des compléments peuvent améliorer la digestion… », ajoute Laurent Morin, directeur de l’association Feedsim Avenir. Pour Valorex, la réduction du méthane passe par l’élaboration d’aliments à base de lin. Une autre solution. Agnès Cussonneau
L’avis de Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil d’analyse économique
Aujourd’hui, le réchauffement de la planète, continu, accéléré et d’origine humaine, n’est plus contesté. Les événements climatiques extrêmes s’amplifient. Mais même si tout le monde est d’accord sur le constat et les solutions, il y a peu d’avancées. Et la Cop 21 qui se profile affiche des ambitions modestes. Face à l’impératif d’écologisation de l’économie, le principe pollueur-payeur pourrait être généralisé. Les États doivent aussi faire le pari de l’innovation et subventionner la recherche, mettre en place des réglementations. À l’Europe de montrer la voie avec des politiques consistantes.
* Outil créé par l’Ademe pour diagnostiquer les consommations d’énergie et les émissions de Ges de l’agriculture et de la forêt d’un territoire.