Pionnière des marchés agricoles aux enchères, la Bretagne chahute ses cadrans. Après le bovin en 2003, le porc s’interroge sur ce mode de commercialisation.
Les premiers marchés au cadran français sont bretons. Le point de départ, c’est la « bataille de l’artichaut » en 1960, une violente crise qui intervient après plusieurs années difficiles en légumes de plein champ. Après quelques tentatives pour court-circuiter les négociants en vendant les légumes directement aux magasins, les légumiers, portés par la détermination d’Alexis Gourvennec, s’inspirent de la longue expérience des marchés aux enchères des Pays-Bas pour créer le « cadran de Saint-Pol ». Une machine aujourd’hui bien huilée – et bien gardée – qui doit entre autres son succès à l’extension des règles encadrée par décret ministériel depuis 1962 et renouvelable tous les trois ans. Ce dispositif-clé prévoit en effet que si la majorité des producteurs d’une zone géographique choisit le cadran pour commercialiser sa production, l’ensemble de la production régionale doit être vendu sous cette forme (avec des règles différentes selon les légumes). « C’est le principe du regroupement de toute l’offre en un seul point de vente », explique Pierre-Bihan Poudec, ancien président de la Sica, qui y voit là un « point fondamental du fonctionnement du cadran. Et c’est bien ce que n’a pas su ou réussi à faire le porc ».
Le bovin copie le légume…
Le « cadran de Saint-Pol » inspire rapidement les éleveurs finistériens. En 1968, un groupe d’agriculteurs fait le voyage en Irlande pour découvrir un marché de bovins aux enchères. Dès 1969, plusieurs communes du Finistère fondent le Simof (Syndicat intercommunal des marchés organisés du Finistère). À partir de 1972, les enchères publiques se développent à Guerlesquin, puis à Landivisiau et à Châteauneuf-du-Faou, grâce à l’aide financière des pouvoirs publics. La gestion est prise en charge par un organisme commun : la Sicamob (Sica des marchés organisés de Bretagne). Deux marchés morbihannais y adhérent par la suite : Ploërmel et Plouay. Puis, le mouvement gagne les Côtes d’Armor, souvent soutenu par des coopérative : Guingamp, Lannion, Pontrieux, Mûr-de-Bretagne, Rostrenen, Corlay, Saint-Mayeux, etc. Quant à la Cooperl, elle crée la Coopérative du marché organisé de Lamballe (Coopmol).
… et le porc copie le bovin
Créés par la Sicamob en 1972, les marchés de porc ont connu une histoire beaucoup plus mouvementée. La Cooperl observe l’expérience durant plusieurs mois et décide, le 16 février 1973, de créer à son tour un marché aux enchères à Lamballe, en perfectionnant et en adaptant le système finistérien. Deux changements essentiels est apportés : vente à la qualité entraînant la présence de classeurs-peseurs acceptés dans les abattoirs, appartenance obligatoire à un groupement de producteurs pour que les prix soient toujours les mêmes, à qualité équivalente, quels que soient les vendeurs.
En 1975, un rapprochement aboutit à la fusion des deux systèmes en un organisme unique : le « Marché breton du porc », dont le siège est alors à Guerlesquin. Les règles adoptées par Lamballe sont appliquées dans les deux marchés au cadran dépendant de l’organisme commun : celui de Saint-Pol-de-Léon (à cause de ses installations) pour la Bretagne occidentale, celui de Loudéac pour la Bretagne orientale.
Histoire mouvementée
À compter du 1er septembre 1977, les marchés porcins du Finistère se déroulent uniquement à Châteauneuf-du-Faou, un cadran aux enchères dégressives y ayant été installé. Mais un certain nombre d’organismes refusbent d’adhérer au Marché breton du porc. En 1978, deux organisations de vente aux enchères se partagent donc la Bretagne. Les ventes ont lieu alternativement à Châteauneuf-du-Faou et Loudéac, le lundi après-midi et le jeudi. Un second organisme, Promoporc, est créé par les groupements de producteurs de porcs qui ont abandonné le Marché breton du porc, ou n’y ont jamais adhéré. Il cesse son activité en juin 1978.
Depuis le 10 août dernier, une autre page de cette évolution chaotique du marché au cadran du porc a commencé à s’écrire. Mais l’idée fondatrice de Jean Moal, premier président du MPB, n’a sans doute pas perdu toute sa portée : « Qu’on soit pour ou contre, le marché au cadran imprègne la vie de tout éleveur de porc en France. La raison en est simple : son revenu en dépend ». Didier Le Du
L’avis de Gilles Rousseau, président FMBV
Depuis 1989, j’observe l’évolution des marchés de gré à gré qui sont en perte de vitesse un peu partout en France. Ces marchés ont été à une époque des outils politiques. Aujourd’hui, les marchés ont une fonction économique. C’est dans ce contexte de mutation que les marchés au cadran ont le vent en poupe en bovins et en ovins. On recense actuellement 24 marchés aux enchères en France et beaucoup se sont inspirés des réalisations bretonnes. Il y a tout un travail d’éducation à faire pour que les éleveurs se réapproprient l’acte de vente et que les acheteurs comprennent qu’ils ont à gagner au regroupement de l’offre.