La grande majorité des producteurs européens souffrent de la conjoncture en 2015. Seuls les Espagnols tirent leur épingle du jeu, malgré un léger ralentissement de croissance.
Depuis le mois de juillet et les engagements de filière, le prix du porc français, payé aux éleveurs, est supérieur à 1,50 €. Seul le prix payé aux producteurs espagnols est à ce niveau, grâce à l’export vers les pays tiers et notamment vers la Corée du Sud. Actuellement, les porcs allemands, danois et néerlandais sont payés à moins d’1,40 € aux producteurs. Cet écart de prix européen a conduit certains acheteurs français du cadran à ne plus se présenter aux sessions du MPB, générant une situation très tendue en France.
Le prix de l’aliment est similaire en France, en Allemagne et au Danemark. Il est plus élevé aux Pays-Bas en raison de son niveau énergétique mais le coût alimentaire est identique. En revanche, le prix de l’aliment espagnol est supérieur à celui de ses voisins de 30 €/tonne, en raison du déficit en céréales. Au global, les éleveurs français enregistrent, sur les 8 premiers mois de 2015, des pertes de 5 €/porc (120 €/truie) contre 12 €/porc pour les Danois et les Allemands. La différence est essentiellement liée au relèvement du prix français, cet été. L’Espagne se démarque, en 2015, avec un résultat net à l’équilibre et des bénéfices de près de 200 €/truie de 2012 à 2014. Deux experts de l’Ifip, intervenants au Space, détaillent la situation dans ces différents pays.
2/3 des élevages disparaissent tous les 10 ans
La conjoncture actuelle au Danemark pourrait précipiter le mouvement. Le résultat net des élevages fluctue de – 50 € à – 200 € par truie depuis 2007, en moyenne. Les charges de structure pèsent sur la rentabilité. « L’endettement est très important. Les frais financiers représentent 72 % de l’EBE chez les naisseurs et 85 % chez les engraisseurs », assure Boris Duflot. Comment envisager l’avenir après un tel constat ? « Les élevages les plus performants techniquement sont toujours rentables, avec un résultat bénéfique, proche de 100 €/truie. Ils reprennent les élevages qui cessent. Il y a peu de constructions ».
L’objectif politique affiché reste 1 000 élevages de 1 000 truies, à moyen terme. Le système naisseur-engraisseur se développe de nouveau pour éviter de dépendre du marché des porcelets. Pas suffisamment pour conserver la production : l’engraissement et les abattages diminuent. Le foncier reste un facteur de robustesse (cultures de vente, aides Pac) sauf pour les éleveurs ayant acheté des terres en période de flambée des prix, entre 2005 et 2008. La contractualisation au sein de la filière entre l’aval et la production est difficile car le Danemark exporte beaucoup d’animaux.
Plus de bien-être animal pour se démarquer
Les éleveurs néerlandais, surtout les engraisseurs, souffrent mais le niveau de production (porcs et porcelets) ne devrait pas être affecté. 50 % des producteurs disparaissent tous les 10 ans. « Ce rythme d’évolution devrait rester relativement stable, jusqu’en 2018 ». La volatilité des prix pourrait conduire à la mise en place de mesures pour minimiser les risques de marché. « Des contrats de prix entre éleveurs et abatteurs mais surtout une différenciation de la qualité de la production grâce à des mesures sur le bien-être animal ».
Un changement de stratégie
Après une année euphorique 2013-2014, l’année 2014-2015 s’annonce catastrophique pour les naisseurs allemands. Compte tenu du prix de l’aliment, certains engraisseurs n’ont pas rempli leurs bâtiments. Le prix du porcelet de 30 kg chute aux alentours de 40 €. « Avec un coût de revient de 60 €, un naisseur perdra 100 000 € en 2015 », indique Christine Roguet. Beaucoup de naisseurs choisissent d’élever leurs charcutiers. Malgré la pression mise sur les naisseurs, les marges des engraisseurs est tombée à 6,5 €/porc alors qu’il faudrait 15 à 20 € pour couvrir les charges fixes. L’investissement dans l’engraissement n’est rentable qu ‘avec des performances techniques supérieures aux moyennes et avec des subventions. Qu’en est-il de ces aides ? « Le budget alloué au niveau du 2e pilier de la Pac est de 50 millions d’euros. Il permet de financer 20 à 40 % des investissements liés au bien-être animal (surface, matériaux..), avec des plafonds par exploitation (300 000 €). Les élevages de moins de 1 500 places d’engraissement ou de 560 places de truies peuvent y prétendre ».
En parallèle, l’initiative Tierwohl prévoit un budget de 65 millions d’euros. L’objectif de ce programme est de faire évoluer l’élevage pour répondre aux demandes sociétales, répercutées par les distributeurs, sans entamer sa compétitivité (surface supplémentaire par porc, accès à de la paille….). Avec étiquetages en bonne et due forme et information des consommateurs. Les Allemands peuvent compter sur des revenus complémentaires avec la vente de biogaz, (8 000 installations en 2014). Par contre, le prix du foncier pèse sur les charges, il a doublé entre 2007 et 2014 (40 000 € en Rhénanie), le traitement du lisier coûte de plus en plus cher (+ 5 €/porc en moyenne) ainsi que le lavage d’air, obligatoire au-delà de 750 truies. Les liens entre les différents maillons de la filière conduisent à une forme d’intégration d’intensité variable. « L’abatteur Tonies vient de créer une société de négoce de bétail ». Une manière de s’assurer un volume minimal de production.
Bénéfices réguliers
Les progrès techniques en élevage et dans la formulation des aliments, depuis 2007, ont permis à l’Espagne d’entrer dans la cour des très grands producteurs. En parallèle, le temps de travail par truie diminue fortement. Cette évolution résulte des investissements conséquents réalisés par la filière. « Entre 2007 et 2013, le prix des bâtiments progressait de 2 % en Espagne contre 21 % en France et le coût de la main d’œuvre de 4 % contre 12 % en France. La crise a stabilisé les salaires et le coût des constructions ».
Les élevages ont profité pleinement de la bonne conjoncture 2012-2014. Les indépendants, comme les intégrateurs, réinvestissent les bénéfices engrangés. « Les intégrateurs construisent des places en propre, sur un modèle de 3 500 places de naissage par site (maximum légal) et de 1 000 à 2 000 places par site d’engraissement, conduit en tout plein tout vide ». Des initiatives bien venues face au manque de place d’engraissement. La modernisation des élevages mais aussi des abattoirs et des usines d’aliment va donc se poursuivre laissant augurer une nouvelle augmentation de la production. Le niveau de croissance dépendra des marchés. L’Espagne espère, dès cette année, un rebond de l’économie nationale et une augmentation de la consommation des ménages. Le marché à l’export est toujours dynamique.
Les voyants sont au vert. Quelques charges supplémentaires sont néanmoins à prévoir. L’Espagne est, à son tour, rattrapée par les exigences environnementales. « Les stations collectives de traitement du lisier ont fermé en 2014. 6 % de la production, concernant 3 000 élevages, devra être résorbée avec des aides publiques de moins en moins importantes ». L’embellie de l’économie nationale pourrait entraîner, à plus long terme, une hausse des salaires et des coûts. D’ici là… Bernard Laurent
L’avis de Guillaume Roué, Président d’Inaporc
10 % des éleveurs français ne passeront pas la crise et 10 % sont en danger. D’autres éleveurs ont-t-ils la capacité financière ou simplement l’envie de reprendre les élevages qui ferment ? Une chose est certaine, nous ne ferons pas venir des porcs de l’étranger pour faire vivre nos abattoirs. Nos concurrents européens sont également rattrapés par la patrouille (normes environnementales, demandes sociétales) mais ils prennent des initiatives, en filière, pour protéger leur marché intérieur (programme allemand Tierwohl lié au bien-être animal, par exemple) avec, à la clé, une meilleure rémunération des éleveurs. Nous faisons, en France, le choix de l’entreprise avec des capitaux familiaux. Ce choix implique d’être compétitif, en créant, nous aussi, des moyens de protéger notre marché. Cette vision est difficile à partager avec les distributeurs. Nous devrons pourtant trouver des solutions de filière pour éviter qu’Allemands et Espagnols ne s’approprient le marché français.