Au Space, l’OS Normande va présenter un lot de croisées. Une première.
En France, pays de races pures par excellence, « il y a un vrai tabou sur la question du croisement. Nous sommes en train de le briser… », confie Albéric Valais, directeur de l’Organisme de sélection (OS) Normande. En effet, la structure organise au Space une présentation de femelles croisées. Une première en forme de petit pavé dans la mare sur laquelle les organisateurs du salon n’ont pas hésité à communiquer ces derniers mois.
Cette opération originale découle « du programme Normande 2050, gros travail de repositionnement que la race a mené résumé par le slogan “éleveur libéré” grâce à une vache facile à conduire. » Pour le responsable, se pencher sur le croisement, c’est répondre « aux questions qui sont posées sur les différents types de marché. L’idée, dire à tout le monde que notre race a des cartes à jouer, encore plus peut-être dans ce contexte de crise où les mots autonomie alimentaire, santé, rusticité et temps de travail prennent du poids. On se rend compte que la désintensification n’est pas synonyme de baisse de revenu. »
9 croisées en présentation
Au Space, 9 croisées seront présentes à proximité du stand de l’OS : des hybrides F1, F2 et F4 pour montrer l’évolution phénotypique. Un excellent support pour initier les discussions et présenter « en vrai » les produits aux visiteurs, en particulier aux étrangers. « Alors qu’il n’est pas facile d’envoyer des génisses à l’international », ces animaux permettent d’illustrer les réponses que la race apporte aux différents systèmes d’élevage : « Des taux même avec des rations limitées en énergie, de la valorisation laitière, une bonne aptitude à la reproduction… »
Installé à Amanlis (35), Jean-Michel Arondel glane régulièrement des prix dans les concours les plus relevés de la race. Membre du conseil d’administration d’Évolution et qui siège à l’OS Normande, ce sélectionneur reconnu soutient pourtant l’initiative. « C’est osé de présenter des croisées. Mais n’oublions pas que l’insémination est le moyen le plus simple de changer de race dans le contexte économique actuel. Une méthode sans impact sur la trésorerie et sans risque sanitaire lié à l’achat d’animaux. » Et de poursuivre : « La Normande, en race pure, c’est en France et en Colombie. Mais d’autres destinations sont intéressées par ses qualités. Or, devant la difficulté voire l’impossibilité d’exporter des animaux vivants, le seul moyen de placer notre génétique est le croisement. » D’ailleurs, le brétillien ne limite pas ce recours seulement sur la Holstein, mais sur toute race : « J’ai vu aux États-Unis de belles croisées Normandes x Jersiaises… » Il voit donc l’arrivée des hybrides au Space d’un bon œil. « C’est le salon le plus international, le bon endroit pour cela. »
Trévarez réfléchit au croisement
Preuve que la question est « dans l’air du temps », la ferme expérimentale de Trévarez (29) pourraient débuter prochainement des travaux sur le croisement trois voies. Si les races concernées pour métisser le tiers de l’effectif (Holstein) ne sont pas encore officiellement arrêtées, le réseau des Chambres d’agriculture de Bretagne pourrait communiquer bientôt sur le sujet.
Un veau par paillette
Albéric Valais le rejoint en rappelant que les unités de sélection qui ont une vision internationale « ne peuvent plus ignorer la pression du croisement qui existe dans le monde. » Même en France, la question se pose. « L’émergence de grands troupeaux pourrait générer une population d’élevages moins attachés à la notion de race qu’à la priorité de mener des vaches sans souci. » Justement, Nicolas Gautier, du Gaec des Petits Vaux, à Plémy (22), compte une quinzaine de F1, F2 et F3 parmi ses Normandes pures. « Sceptique au début », le jeune éleveur est aujourd’hui plutôt élogieux à l’endroit de ses croisées : « Des vaches qui durent, donnent un veau par paillette. Les F1 gardent la productivité des Holstein avec les qualités des Normandes en plus : au-dessus de 10 000 kg en 305 jours à 34 de TP… Certaines ont même beaucoup de chic. »
Liste de taureaux recommandés
Entre les lignes, on lit aussi une volonté d’apporter une réponse politique et technique à l’avance prise par le programme Procross de la Montabéliarde. «Au Space, l’Upra Montbéliarde communique déjà depuis 5 ans sur le croisement avec la Rouge scandinave », note Jean-Christophe Boittin, chez Évolution. Celui-ci rappelle surtout que l’offre génétique doit être capable de répondre aux différentes stratégies laitières. « Alors que l’on a beaucoup entendu que le monde avait soif de lait et qu’il fallait augmenter les volumes, la Normande propose une voie alternative à l’intensification à tout-va. » Il a d’ailleurs travaillé à lister des taureaux normands adaptés au croisement. « En première génération, l’accouplement est simple car on va toujours bénéficier de la vigueur hybride, le fameux effet hétérosis. Mais je conseille de prendre un maximum de précaution sur la facilité de naissance, en visant des profils assez complets en lait et taux pour marquer la descendance et également de bonnes notes en aplombs et mamelle. » Évolution propose ainsi dans son catalogue international un document d’appui avec les taureaux recommandés « pour fournir un mode d’emploi très pratico-pratique complémentaire de la communication de l’OS Normande ». Toma Dagorn
L’avis de Philippe L’Hantoën, vice-président de l’OS Normande
On se rend compte qu’il faut produire le plus économiquement possible. Avec les grands troupeaux, le concept de race pure pourrait évoluer même en France à la recherche d’une vache facile à conduire, qu’on n’a pas besoin de drencher et qui file à l’herbe dès qu’on ouvre la barrière. Face aux problèmes de fécondité en Holstein sous certaines conditions, des pays sont d’ailleurs partis sur du croisement rouge : comme aux États-Unis… En Normande, on s’est demandé « Pourquoi pas nous ? » La Montbéliarde est une bonne illustration : elle a su développer son programme Procross en s’appuyant sur la génétique Rouge suédoise, une initiative qui participe à financer son schéma de sélection. On prend position pour adapter la Normande au maximum de demandes.