Volumes libres, prix indexés, contrats tripartites… La mise en place de la contractualisation laitière affiche des différences au sein de l’Europe. Certains pays ont mis en place des démarches sécurisant les producteurs.
En parallèle au démantèlement des outils de régulation européens, la transition des quotas vers la contractualisation a été progressive sur 10 ans. « Suite à la crise de 2009, les transformateurs, notamment en France, ont été obligés de mettre en place des contrats. Et les éleveurs ont obtenu le droit de s’organiser en Organisations de producteurs (OP), ce qui n’était pas possible auparavant », a précisé Gérard You, économiste à l’Institut de l’élevage, lors d’une conférence au Space.
En France, les transformateurs ont préféré continuer à encadrer les volumes. « Les privés qui collectent 45 % de la production nationale proposent des contrats pour des durées de 5 ans, et pouvant aller jusqu’à 12 ans pour les jeunes. Le prix du lait est unique. » Représentant 55 % des volumes, les coopératives sont obligées de collecter leurs adhérents. Seul l’éleveur peut dénoncer le contrat. Les prix sont différenciés selon le volume A, B, voire C, ces derniers étant soumis à davantage de volatilité. Actuellement, les prix B peuvent être de 210 – 220 €/1 000 L chez certains acteurs. « Les coopératives ont souhaité proposer ces prix différenciés pour permettre aux éleveurs qui le souhaitent de produire plus, tout en préservant ceux qui n’investissent pas. Cela permet un effet modérateur sur la production. Mais je pense que ce système ne tiendra pas dans la durée, car il est complexe à gérer. »
Plus de liberté en Europe du Nord
En Europe du Nord (Allemagne, Danemark, Irlande et Pays-Bas), les contrats dominants sont coopératifs, avec des livraisons non encadrées. Les producteurs pilotent les volumes, les coopératives collectant tout le lait livré. « Ils achètent toutefois des parts sociales en rapport avec leurs livraisons. La transmission des variations de prix y est rapide et intégrale, alors qu’en France elle est retardée et partielle. Chez nous, ce sont les transformateurs qui pilotent la production. » Mais partout, le risque prix est surtout supporté par les éleveurs. Alors que les stratégies sont différentes dans les deux pays, « il n’est plus logique de continuer à connecter le prix français au prix allemand », soulignait récemment Marcel Denieul (Chambre d’agriculture de Bretagne) lors d’un point presse à Rennes.
Une partie de la production à prix sécurisé
Des démarches existent dans certains pays pour sécuriser les producteurs, à l’image du contrat proposé par la coopérative leader Glanbia en Irlande. Il permet aux producteurs un partage du risque avec la coopérative et des acheteurs d’ingrédients (poudres…). 40 % des adhérents ont souscrit à ce contrat qui correspond à 20 % de la production collectée. Fixé pour trois ans, le prix de base (32,6 ct/L sur le contrat 2015) est indexé au coût des principaux intrants (engrais, aliments, énergie). Désormais, il prend également en compte la volatilité, avec une hausse quand le prix du marché de Glanbia dépasse un plafond, et une baisse quand il descend en dessous d’un plancher.
Au Royaume-Uni, des contrats tripartites ont été mis en place avec la grande distribution sur le lait pasteurisé, un marché important et peu concurrencé dans le pays. « Les prix sont relativement stables et élevés. Mais à côté, d’autres producteurs peuvent vendre à des prix deux fois plus faibles », note Gérard You.
Intégrer les coûts de production
Aux États-Unis, Danone, s’engage sur des contrats de 3, 5 ou 7 ans, payant le lait au coût de production plus marge (sur de très grandes fermes). En France, l’industriel a annoncé qu’il allait proposer aux éleveurs d’intégrer les coûts de production dans le prix. « En échange, les éleveurs devront ajuster les volumes aux besoins des usines, ce qui signifie une baisse de production sur certaines exploitations », indiquent les responsables. Pour Gilles Durlin, président de l’OP Nord-Pas-de-Calais, cela va entraîner une chute de compétitivité qui pourrait être fatale à certains élevages.
Marcel Denieul pense qu’il serait souhaitable que les producteurs français puissent sécuriser une partie de leurs débouchés, avec des contrats incluant les distributeurs et comprenant des clauses de prix et de volumes. « Cela apporterait davantage de lisibilité aux producteurs et aux transformateurs. Après l’été que nous venons de passer, les distributeurs pourraient aussi y voir un intérêt », souligne le responsable. « 40 à 50 % de notre lait pourrait être sécurisé, et le reste soumis à davantage de volatilité. »
En volaille, les filières sont plus ou moins intégrées. « Les contrats permettent une meilleure adaptation entre l’offre et la demande et une assurance forte sur le revenu de l’éleveur, ce qui ne signifie pas de hauts revenus… », détaille Pascale Magdelaine de l’Itavi. Le risque de marché est partagé entre les acteurs, mais l’éleveur perd certaines responsabilités. Une manière opposée d’appréhender les contrats par rapport à l’Europe du Nord, où la liberté prime dans la filière laitière. Agnès Cussonneau
Marcel Denieul, Responsable économie des filières à la Chambre d’agriculture de Bretagne
Certaines OP permettent la transmission des contrats entre producteurs dans un périmètre géographique déterminé. Mais aujourd’hui, nous nous orientons vers une marchandisation qui devient préoccupante. L’éleveur se crée une charge en rachetant un contrat, alors que ce dernier n’est valable que 5 ans… Les conséquences fiscales ne sont pas maîtrisées. Les Allemands qui ont connu une surenchère sur les quotas laitiers, ne comprennent pas cette tendance en France. Ils ont souhaité la fin des quotas pour cette raison. La laiterie est la seule gagnante, en optimisant sa zone de collecte.