Au-delà des grandes manœuvres qui se jouent dans la filière porcine, et malgré les mesures annoncées, la situation financière des éleveurs continue de se dégrader. Bilan de la situation avec Jean-Michel Lebret et Laurent Marc, du CerFrance Côtes d’Armor.
Quelle est la situation financière des éleveurs de porc en ce début d’automne 2015 ?
Laurent Marc : Malheureusement, la crise se répercute rapidement dans les bilans. Les résultats comptables clôturés juste avant l’été sont déjà très dégradés. Le résultat courant moyen est proche de 0 et il est négatif pour la moitié des éleveurs. Sur un an, la trésorerie des éleveurs s’est dégradée de près de 200 € par truie en moyenne. Les pertes dépassent les 50 000 € pour un élevage moyen, mais elles peuvent dépasser les 100 000 € pour les élevages les plus en difficulté. Près de la moitié des éleveurs dépassent les normes limites de trésorerie et 20 à 25 % des éleveurs sont en situation financière très délicate.
Comment expliquer une telle dérive financière ?
Laurent Marc : Produire 1 kg de porc coûte actuellement en moyenne 1,48 € à l’éleveur. Sur les 5 dernières années, ce coût atteint même de 1,55 € en moyenne, irrémédiablement tiré vers le haut par des coûts d’aliment nettement plus élevés depuis la flambée du prix des matières premières. Et il faut ajouter la hausse des autres charges : énergie, main-d’œuvre, mise aux normes, etc.
Jean-Michel Lebret : Les éleveurs sont désarmés face à cette situation. Le prix du porc est régulièrement déconnecté des coûts de revient et ne franchit plus les paliers qui permettraient de reconstituer les trésoreries.
En quoi cette crise est-elle différente des crises précédentes ?
Laurent Marc : La filière a déjà connu des crises, mais n’avait jamais été structurellement en crise sur un cycle aussi long. Les dernières bonnes années remontent à 2005/2006. La filière a donc traversé une période de 9 ans où se sont enchaînées les années de pertes ou de très légère rentabilité. Insuffisant en tout cas pour éponger les dérives de trésorerie et préparer l’avenir.
Jean-Michel Lebret : Et il ne faut pas oublier que malgré leur manque de trésorerie, les éleveurs ont fait l’effort de réinvestir pour répondre aux nouvelles normes en bien-être animal. Ces investissements ont aussi pesé sur les coûts de production. Malgré les améliorations techniques continues constatées dans les élevages, les éleveurs subissent donc à la fois la montée des coûts de production et l’absence de prix rémunérateurs.
Les mesures annoncées peuvent-elles permettre de sortir de l’ornière ?
Laurent Marc : Les mesures annoncées par le gouvernement pour aider les éleveurs sont évidemment nécessaires sans être à la hauteur des difficultés. Et malgré les messages d’alerte et le degré d’urgence, l’accompagnement promis aux éleveurs tarde à se mettre en place. CerFrance Côtes d’Armor a réalisé près de 500 dossiers Fac pour ses adhérents depuis juillet sans que le moindre euro n’ait pour le moment été versé aux éleveurs.
Jean-Michel Lebret : Au-delà des mesures d’aides annoncées, le salut ne viendra que par le retour de prix durablement rémunérateurs pour les éleveurs. En attendant, notre conseil d’administration a décidé d’accompagner gratuitement l’ensemble des adhérents des Côtes d’Armor dans toutes leurs démarches du plan de soutien. Nos administrateurs et nos collaborateurs se mobilisent au quotidien au côté des éleveurs pour les aider à passer cette crise. Dans le même temps, nous préparons l’avenir. Dès l’an prochain nous proposerons à nos adhérents un accompagnement et une offre de service renouvelés, encore plus proches de leurs métiers et de leurs besoins. Propos recueillis par CerFrance Côtes d’Armor