Le manque de soutien à la production ovine pendant une trentaine d’années, allié à la libéralisation des marchés, a entraîné l’arrêt des outils de production ou la désaffection des jeunes pour cette filière. Tendance aujourd’hui toujours difficile à inverser alors que tous les signaux sont au vert.
La libéralisation des marchés, la filière ovine connaît. Elle subit les aléas du marché mondial depuis les années 80, où l’abolition des restrictions aux frontières avec l’Organisation commune du marché (OMC) a permis aux agneaux de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni d’envahir le marché français. Ces importations, issues de systèmes de production avec des coûts de productions deux fois moindres que ceux de l’Hexagone ont certes eu le mérite de faire découvrir cette viande ovine, accessible à un plus grand nombre. Mais la filière a subi ensuite des politiques peu favorables à la production, avec des aides Pac dans les années 90 qui ne comblaient pas le différentiel de prix entre coût de production et prix de vente. Manque de soutien, prix trop bas sur quelques années, et deux crises sanitaires au passage… La dynamique de filière s’est endormie, avec pour conséquences une baisse du nombre d’exploitations, l’image de la production détériorée pour tous les acteurs et les financeurs, la perte de compétences techniques sur certains territoires, et un non-renouvellement des générations. jusqu’en 2009, face à un constat affligeant qui se maintient encore aujourd’hui : « La production française ne produit plus que 38 % de la consommation intérieure », insiste Marianne Orlianges, d’Interbev.
Redorer une image ternie
Depuis 2009, la situation s’est retournée avec une prise de conscience des difficultés de la filière au niveau national. Le rééquilibrage des aides, lors du bilan à mi-parcours de la Pac, a donné un souffle aux éleveurs, avec en parallèle des impacts positifs des évolutions du marché mondial : baisses des importations provenant de la Nouvelle-Zélande en l’Europe et augmentation de la demande asiatique. Et depuis, des plans de relance de la production se succèdent pour « changer l’image », et inciter « à l’installation dans un marché où tous les signaux sont au vert pour porter de nouveaux projets et sécuriser l’approvisionnement », comme le souligne Patrick Soury, président du dernier dispositif national Inn’Ovin, intervenant à la conférence au Space « La filière ovine recrute ». Une dynamique à remettre en marche qui porte ses fruits, mais qui prend du temps, constate Audrey Desormeaux, animatrice FNO (Fédération nationale ovine). « Des installations dans le cadre familial redémarrent, c’est un signe positif de reprise », constate-t-elle.
Une production rentable
« Les systèmes de production sont rentables et diversifiés, avec une conduite souple de l’intensif à l’extensif, qui valorisent bien les petites structures, et sont complémentaires avec d’autres ateliers présents sur l’exploitation », illustre Vincent Bellet, de l’Institut de l’Élevage, avec deux témoignages du Grand Ouest. Installé sur 60 ha, en Maine-et-Loire, avec 500 brebis mules, Marc Hameau gère un atelier spécialisé désaisonné, pour s’adapter à la demande d’agneaux en fin d’année. « Il faut avoir un objectif de conduite clair, connaître le marché et l’adapter à ses possibilités de production », préconise-t-il. « Mon choix génétique et la présence de l’irrigation sur mon exploitation me permettent de valoriser mes 50 ha de prairie toute l’année, avec des logements limités à 300 places au cornadis. » Avec une productivité numérique à 1,46, il dégage un EBE de 47 k€ et une rémunération de 2,1 Smic/UMO. Des résultats qu’il souhaite améliorer en agrandissant le troupeau, conduit en deux lots, pour étaler la charge de travail et automatiser le rationnement des agneaux, pour maîtriser le coût alimentaire.
Complémentarité avec l’atelier bovin lait
Thierry Simon, de l’EARL du Bahac à Saint-Méen-le-Grand (35), installé en 1991, s’est, quant à lui, lancé dans la production ovine en 2007 avec 340 Romanes, en système intensif, en complément de l’atelier laitier de 410 000 l de lait. « Nous souhaitions diversifier le revenu pour ne pas mettre tous les œufs dans le même panier : on a déjà connu d’autres crises en vache laitière », rapporte-t-il. Il a misé sur la complémentarité des deux ateliers : même ration, mêmes outils. Et il allie la productivité des brebis (taux de prolificité de 240 % maintenu depuis 4 ans, avec trois agnelages sur 2 ans) à la maîtrise des charges alimentaires, en particulier avec la mise en place de céréales autoconsommées dans la ration. L’exploitation dégage un EBE de 120 k€, avec 50 % des produits provenant de l’atelier vaches laitières et 38 % des ovins. Novice, il a écouté les recommandations techniques des organismes de conseil et maîtrisé rapidement la technicité de l’atelier ovin. Et face à la conjoncture en lait, il développe aujourd’hui l’atelier ovin de 150 à 200 brebis, avec une nouvelle bergerie. « Demain, les vaches laitières vont peut-être devenir l’atelier complémentaire de l’atelier ovin », conclut-il… Carole David
L’avis de Patrick Soury, secrétaire général Fédération nationale ovine (FNO)
Pour valoriser le produit et susciter la consommation, 30 % des brebis allaitantes sont engagées en France dans une filière de qualité. C’est une volonté interprofessionnelle de se placer sur un marché haut de gamme. Conséquence : les agneaux français sont 2 à 3 € plus chers que les importations. Notre produit est bien mis en avant et le Français est prêt à y mettre le prix. Notre souci, avec une production saisonnière, c’est l’absence de notre approvisionnement permanent toute l’année pour honorer notre place dans les rayons. Et c’est ce qui freine les augmentations du prix au producteur.