Mardi dernier, à l’assemblée générale du réseau Rés’Agri à Sulniac (56), des experts ont débattu du changement climatique et de ses conséquences pour l’agriculture avec des professionnels présents dans la salle.
Un point de vue, partagé par l’ensemble des participants, ressortait à l’issue des discussions : l’agriculture doit réduire ses émissions de gaz à effets de serre, mais aussi tirer profit de sa capacité à stocker du carbone dans les sols. Une augmentation du taux de matière organique permettrait de capter une bonne partie des GES émis. Cette matière organique pourrait donc avoir une valeur marchande. La priorité serait donnée, par exemple, à des techniques de travail renforçant sa teneur dans les sols. Quitte à abandonner certaines pratiques ou certaines cultures. Cette orientation pourrait être une source de revenu, payée par des entreprises polluantes, pour service environnemental rendu. Reste aux agriculteurs à vendre cette idée, avant que d’autres s’en emparent… Bernard Laurent
L’avis de :
Laurent Labeyrie, Expert du Giec de 2003 à 2008
Le réchauffement est et sera plus marqué au centre des continents. Le changement sera moins impactant en Bretagne, même si les périodes extrêmes seront plus fréquentes (sécheresse, pluie…). Les hivers seront doux. La région sera plus attractive. Le prix des maisons et des terres va augmenter. En dessous de 2 degrés, le niveau des mers augmentera d’un mètre mais l’adaptation est possible. Si le réchauffement n’est pas limité – si les pays développés ne réduisent pas de 10 % par an leurs émissions dès 2020 – les conséquences seront énormes. Il y a 120 000 ans (période interglaciaire), le niveau des mers était supérieur de 3 mètres et nos ancêtres se portaient bien, mais un tel réchauffement en si peu de temps (3 à 6 °C en quelques décennies), empêche toute adaptation (faune et flore). 90 % de la population humaine disparaîtrait. Ne resterait que la population la plus riche des pays les plus riches… Dans l’immédiat, les agriculteurs devront tirer profit de la capacité des sols à stocker du carbone, en vendant cette propriété.
Laurence Ligneau, Chambre d’agriculture de Bretagne
La coopérative Terrena récompense les adhérents qui s’engagent dans le programme AgriCO2 de réduction de gaz à effet de serre et adoptent une ou plusieurs mesures techniques (lin dans l’alimentation, introduction de légumineuses à graines, de haies…). Les éleveurs laitiers engagés peuvent monnayer les tonnes de CO2 non émises par leur troupeau en bons d’achat pour s’approvisionner en intrants (aliments, semences et divers matériels « verts » tels que des luminaires à leds, des clôtures photovoltaïques, des récupérateurs de chaleur pour tank à lait, etc.). Des entreprises, comme Danone, travaillent aussi à réduire les émissions de leurs producteurs. Beaucoup d’entreprises s’engagent dans une démarche Carbone neutre… L’agriculture doit capitaliser sur le stockage du carbone. Une augmentation de matière organique dans le sol peut compenser une bonne partie des gaz à effet de serre émis.
Philippe Mérot, Inra
Le changement climatique a des conséquences partout dans le monde. Les élevages ont intérêt à être de plus en plus autonomes. Le prix du soja va, par exemple, fluctuer en fonction des aléas météorologiques de plus en plus nombreux dans les régions productrices. La Bretagne a peu de ressources propres d’eau bleue (nappes et rivières venant d’autres régions). Elle va en manquer. Nos sols sont peu profonds et ont une faible capacité à stocker de l’eau verte (celle qui est transformée en végétaux). Il va y avoir une compétition pour s’accaparer ces eaux entre l’agriculture et les autres secteurs consommateurs. C’est la fragilité de l’agriculture bretonne. Les sécheresses vont s’accentuer en été. La production des prairies sera forte en hiver et au printemps ; il faudra s’y adapter. Le rendement du blé stagne depuis plusieurs années. C’est déjà, en partie, lié à l’évolution du climat. Les accidents de culture seront plus nombreux (échaudage…) et limiteront les progrès.
Pierre Daniel, Agriculteur
Nous ne découvrons pas les changements. Nous évoluons en permanence. Les indices de maïs semés ne sont plus les mêmes, le ray grass italien a été abandonné…. Les premiers diagnostics moteurs datent des années 90. On note d’ailleurs que, quand le prix du gasoil augmente, ces diagnostics sont plus nombreux. Avec les partenaires Aile, Ademe, nous travaillons sur les économies d’énergie : consommation dans les serres, isolation des bâtiments, techniques culturales simplifiées, introduction de la luzerne et des mélanges prairiaux, échanges parcellaires… Il n’y a pas de solution miracle, beaucoup d’efforts restent à faire. D’autres voies sont à explorer : les haies ont une formidable capacité de stockage de carbone (aérien et dans le sol). Nos élus devront nous soutenir pour valoriser ce capital agricole.