Jeanne Brault vient de rejoindre Dominique Le Calvez sur l’exploitation. Histoire d’une double-installation mûrement réfléchie à Plédéliac.
Le 1er avril 2014, Dominique Le Calvez a repris une exploitation suite à un tiers. Sa compagne, Jeanne Brault l’a rejoint le 1er janvier. Au départ du projet, la contrainte était de trouver, « pour raison familiale », un site dans un rayon de 20 km autour de Lamballe (22). Ensuite, ils cherchaient « la ferme idéale de l’herbager avec un parcellaire groupé, 50 ha de terres accessibles qui se ressuient rapidement l’hiver et ne sèchent pas l’été… »
Redémarrer le lait
Difficile de trouver la perle rare. Ils ont finalement repris 83 ha sur deux sites éloignés de 2,5 km. « Les bâtiments avaient de l’âge mais étaient fonctionnels et bien entretenus. » Si les cédants avaient saisi la cessation laitière en 2011, « barrières et salle de traite étaient toujours à leur place » pour redémarrer un atelier lait. À l’installation, en 2014, « en pleine euphorie des marchés et à l’heure des contrats », une laiterie proposait 400 000 L de droit à produire. « Mais, sur un foncier à potentiel très limité, nous ne conservions que 5 ha de cultures (contre 24 aux cédants) en faveur d’un système herbager et économe en intrants. » Si près du bio que le dernier pas n’était pas compliqué à faire, Dominique sortant d’une expérience de salarié sur un élevage certifié et la coopérative Biolait cherchant des producteurs « face à une production insuffisante de lait bio pour une consommation qui augmente et pour anticiper les départs en retraite prochains d’une génération d’éleveurs. » À destination de la laiterie et des banques, les futurs éleveurs ont rédigé un dossier technique présentant le projet, la production estimée et un prévisionnel économique. « Pour un accord de principe sur 300 000 L. »
Rachat de vaches bio
Mais comme ils avaient racheté « une coquille vide », il fallait trouver des vaches. « Nous avons repris un troupeau de 38 laitières et la suite. Ces bovins menés en bio ont ainsi évité les 6 mois de conversion réglementaires pour les animaux… Notre cheptel va se développer tranquillement par du croît interne. Le temps d’apprendre comment fonctionnent nos sols et de bien appréhender tous les leviers de notre ferme… » Dans leur démarche, Jeanne et Dominique ont toujours fait attention au « montant d’annuité total. » Il est aujourd’hui de 23 000 € par an, « un peu plus que ce qu’on s’était fixé », pour un emprunt bâtiment qui court sur 15 ans, un financement du troupeau sur 12 ans et 40 000 € de petits prêts pour tous les frais annexes. Le foncier est loué et les gîtes ont été repris via une SCI familiale pour alléger la note. La structure ne compte qu’un tracteur, une bétaillère, une dérouleuse-pailleuse, une faneuse et un andaineur… « Le matériel, amorti sur 5 à 7 ans, pèse lourd dans les comptabilités agricoles. Nous ne voulions pas entrer dans ce schéma fiscal. Les travaux de culture sont délégués à l’ETA et la Cuma. » Les deux anciens salariés insistent aussi sur l’importance de l’apport personnel : « À 20 ans, sans épargne, un tel projet aurait été lourd à porter… »
Petits conseils aux porteurs de projet
- « Faire venir des collègues paysans pour voir la ferme à reprendre, les terres. Il faut proposer son projet à la critique. Tant pis si cela ne fait pas plaisir. »
- « Mettre en concurrence tous les potentiels partenaires de l’élevage, y compris banques et assurances. »
- «Oser aller voir les voisins, qu’ils soient en conventionnel ou en bio. On n’a peut-être rien à voir politiquement ou techniquement, mais humainement, on a souvent plein de choses à partager. Il faut discuter de tout. C’est un bon début pour faire naître l’entraide. »
- « Savoir faire faire. Ne pas hésiter à mettre 50 000 € de plus dans un bâtiment pour avoir du confort de travail ou dans un atelier de transformation en employant si besoin. Parfois, on veut tout autoconstruire ou faire soi-même, et on se casse le dos, on y laisse la santé… »
300 000 L de lait à deux
En 2015, l’exploitation a livré 224 000 L de lait. Le Plan de développement de l’exploitation (PDE) prévoit 300 000 L à deux. « Nous allons augmenter crescendo. Mais le volume n’est pas une fin en soi. La question est quelle référence produire avec quelle rémunération du litre de lait pour assurer un revenu et se permettre de partir en vacances… Et parallèlement mettre en place un système facile à déléguer quand on se fait remplacer. » En décembre, leur prix de base était de 460 € / 1 000 L, « un prix juste pour nos vaches qui produisent deux fois moins de lait », estime Dominique Le Calvez, conscient de « l’écart énorme » par rapport au conventionnel dans la panade. « Les élevages à 5 ou 6 000 L de lait par vache et plus de 70 % d’herbe ne devraient peut-être plus se poser de question et entamer une conversion pour profiter de la valorisation du bio. » Toma Dagorn
L’avis de :
Jeanne Brault, Installée le 1er janvier 2016
Cela fait 20 ans que cela me trotte dans la tête. Cependant, je ne prévoyais pas de m’installer avant 3 à 5 ans, notamment parce que j’aimais mon métier d’animatrice. Mais, avec les gîtes, l’élevage et mon boulot, j’ai compris qu’il y avait une chose en trop. À vouloir tout faire, j’étais toujours en train de courir, en retard au bureau ou avec les enfants. J’ai surtout réalisé que j’aimais être à la ferme et que j’étais déjà très impliquée dans le projet… Seule, je n’aurais pas osé, mais là, c’était le bon moment pour me lancer.
Dominique le Calvez, Installé le 1er avril 2014
Sur le terrain, une ferme laitière se négocie en gros au volume produit. En 2014, quand j’ai signé, le lait valait de l’or. De l’ordre d’1 € / L. Une reprise est souvent compliquée puisqu’elle confronte offre basse et demande élevée. Je comprends que les cédants accordent beaucoup de valeur et veulent vendre cher l’outil de travail de toute une vie. Mais il faut aussi être réaliste car les règles du jeu ont changé. Le contexte économique est très difficile. Il faudrait des médiateurs neutres, impartiaux, pour accompagner les transactions…