Installé il y a cinq ans, Nicolas Leborgne n’a connu qu’une à deux années à l’équilibre. Comme tous les récents investisseurs, la crise qui perdure fragilise son entreprise et affecte sa motivation.
Jeudi matin, de bonne heure : Nicolas Leborgne prépare un départ de charcutiers. La nuit a été courte. Il s’est couché à 3 h du matin après avoir bloqué, avec plusieurs collègues, la RN 12 à hauteur de Saint-Brieuc. « Y a du boulot », lâche-t-il en guise d’accueil. Le sourire est un peu crispé. Les tâches, sur son élevage de 200 truies, n’attendent pas. Le jeune éleveur s’est installé en 2010, à la suite de ses parents. Il travaille seul sur sa ferme d’une centaine d’hectares. « Sans l’aide de mon père, je ne pourrais pas faire face à la charge de travail », assure-t-il. Pourtant, en 2009, un an avant son installation, les voyants étaient au vert. L’étude prévisionnelle donnait un prix d’équilibre à 1,25 €, avec des résultats techniques dans les moyennes de groupe et un prix d’aliment à 170 euros la tonne. En 2010, patatras. Le prix de l’aliment grimpe à 260 euros et explose ce prix d’équilibre. En parallèle, le cours du porc stagne. La première année est une année de crise.
Ouverture de crédit « au taquet »
L’éleveur a investi 740 000 euros (hors foncier) au moment de son installation pour reprendre l’élevage existant et transformer un poulailler en atelier truies aux normes du bien-être animal. En 2012, il a investi dans une fabrique d’aliment pour valoriser le maïs par les animaux. Les 120 000 euros d’annuité totale de 2015 ont du mal à passer. Le montant ne baissera qu’en 2019, à 100 000 € environ. Impossible de voir le bout du tunnel. « Il faudra déjà tenir jusque-là. En ce moment, je perds 12 000 € par mois ». L’ouverture de crédit de 120 000 € est « au taquet ». L’embellie de l’été et du prix à 1,40 €/kg est déjà bien loin. « J’évalue le montant de mes mises en culture du printemps à 40 000 €. Malgré la baisse du prix du pétrole, les charges continuent d’augmenter. Les fournisseurs attendront la récolte et la vente des céréales (une trentaine d’hectares) pour être payés ». L’éleveur a pourtant bien négocié les prix en se regroupant avec quatre autres collègues. Ses résultats techniques atteignent les objectifs qu’il s’était fixés. L’endettement qui flirtait déjà avec les 100 % en fin 2014 a désormais dépassé cette barre, plus que symbolique.
Pas de prélèvements privés
Nicolas Leborgne prélève peu d’argent pour ses besoins privés. « Actuellement, c’est zéro euro. Nous vivons sur le salaire de ma compagne qui, heureusement, travaille à l’extérieur. En 2015, j’ai pris 3 jours de vacances avec mes enfants. Cela l’énerve de me voir travailler comme un fou pour si peu de retour. Mais, contrairement à d’autres collègues, j’ai au moins cette chance d’avoir des ressources extérieures ». La situation calamiteuse de l’entreprise n’a rien d’exceptionnelle. Beaucoup de jeunes éleveurs et de récents investisseurs connaissent les mêmes difficultés. Ici, on ne parle pas encore de rééchelonnement de la dette et encore moins de procédure amiable judiciaire. Ni de vendre l’élevage. « Je ne sais même pas si quelqu’un peut, actuellement, l’acheter. Mais il ne faut pas que cela dure. L’année blanche, proposée dans le plan d’accompagnement de la filière, est intéressante mais il faudra bien, un jour, rembourser cette annuité différée ».
Déjà, un retard d’investissement
Les problèmes de trésorerie sont difficiles à gérer mais l’éleveur soulève d’autres conséquences, à moyen terme, toutes aussi néfastes. « J’ai 400 places de porc en façonnage. Cette délégation me coûte 18 000 € par an. Avec cela, je pourrais rembourser la construction d’un engraissement sur mon élevage et élever tous mes porcelets. Cela m’éviterait de payer un aliment granulé chez le façonneur et de valoriser le maïs humide chez moi ». Les bâtiments d’engraissement vieillissent. Les caillebotis demandent à être remplacés. Le retard d’investissement s’accumule et menace, à terme, la compétitivité. « Je pourrais aussi parler d’échangeurs d’air qui me permettraient d’alléger la facture énergétique, ou d’autres équipements de modernisation, mais le pire, pour moi, c’est de ne pas pouvoir embaucher un salarié sur une telle structure. Mon père a le droit de profiter pleinement de sa retraite ». Quant à mieux valoriser ses porcs par l’adhésion à un label, l’éleveur coupe : « Je n’ai déjà pas la place pour élever tous mes porcs chez moi… » Et conclut : « J’aurais mieux fait de rester salarié ». Espérons qu’il révise son jugement et retrouve de la motivation rapidement, avec une remontée des cours… Bernard Laurent
L’avis de Claude Le Goff, conciliateur en Morbihan
Le nombre de dossiers d’agriculteurs en difficulté financière augmente. En porc, mais surtout en production laitière. La cessation directe est même conseillée dans quelques cas. Je revois beaucoup d’agriculteurs chez qui j’avais déjà fait des conciliations il y a quelques années. Avec les cours actuels, les plans de redressement, réalisés dans le cadre des procédures amiables judiciaires, ne passent plus. Bien souvent, les agriculteurs tardent trop à faire part de leurs difficultés. Les tours de table avec les créanciers sont tardifs et permettent difficilement de trouver des solutions.