Fils et petit-fils de meuniers, Raymond Le Golvan a restauré le moulin de Melin Glaz, à Pluvigner (56). Il raconte l’histoire de cet ouvrage du XVIe siècle mais aussi des premières meules individuelles.
Une remontée dans le temps, c’est ce qu’évoque la visite du moulin de Melin Glaz, sur les rives du ruisseau de Pont-Christ, à Pluvigner. Les pilons africains et les petites meules manuelles d’Irlande ou du Maroc, achetées lors des pérégrinations du propriétaire des lieux, côtoient des outils de plus en plus sophistiqués, fabriqués dans la région. Bien exposés, sous les poutres du moulin à eau restauré. Leur fier descendant, en quelque sorte. Ces antiquités, de divers horizons, illustrent parfaitement la technologie qui a accompagné la révolution néolithique. « L’homme s’est sédentarisé. Il a commencé à stocker des graminées qu’il a fallu broyer. Les premières meules individuelles sont nées », explique Raymond Le Golvan.
Vers 1550, le moulin broie les premières récoltes
Au cours des siècles, le mouvement circulaire manuel cesse de se développer et cède la place aux moulins à bras, puis aux manèges auxquels on attelle des esclaves ou des animaux pour faire tourner des meules plus lourdes. « Ces moulins ont été trouvés en Grèce, cinq siècles avant notre ère : une meule sur un axe avec un bâton permet d’être plus efficace pour écraser les olives et faire de l’huile. Ils ont laissé la place aux moulins à eau ou à vent quand les populations se sont concentrées dans les villes. Les premières sont sans doute l’œuvre des charpentiers de marine grecs et romains ». En France, c’est au Moyen Âge que ces moulins à eau se répandent. « Le roi encourage l’industrialisation des campagnes et interdit les meules individuelles pour protéger l’investissement et rentabiliser les moulins.
Ici, à Melin Glaz, il a fallu une cinquantaine de personnes pendant deux ans pour réaliser les travaux ». Un bief surélevé a été creusé en parallèle du lit de la rivière d’origine et une digue a permis d’obstruer la vallée. En 1550, le moulin est achevé et broie ses premières récoltes de céréales. La vie du meunier n’est pas une sinécure. « Le mécanisme de transmission est très sophistiqué. Le moindre dérèglement est préjudiciable. Le meunier devait faire preuve de beaucoup d’habileté », poursuit l’héritier d’une longue dynastie. Le moulin souffrait des vibrations incessantes. « Les murs ont été restaurés plusieurs fois au cours des cinq siècles de travail.
Le nom d’un aïeul sur une pierre
J’ai retrouvé beaucoup de pierres de meules dans le bief, lors des travaux de rénovation dans les années 2000. On peut aussi en voir dans les murs de l’ouvrage, ce qui prouve qu’ils ont été reconstruits ou consolidés à plusieurs reprises ». Ces pierres de meules sont, pour beaucoup d’entre elles, originaires de Champagne. « Elles étaient de meilleure qualité que le granit breton pour moudre le grain grâce à leurs petites anfractuosités naturelles ». Elles sont également visibles dans les murets aménagés aux alentours. Beaucoup de pierres du moulin sont gravées. Des croix, mais aussi des noms des anciens meuniers et des inscriptions illisibles. « Un visiteur est venu au moulin il y a quelques mois. Suite à une recherche généalogique, il pensait être descendant de l’un des anciens propriétaires du moulin. C’est probablement le cas : le nom de son aïeul est inscrit sur le linteau d’une des portes ».
Le moulin à eau découle d’un mécanisme d’irrigation
Au Néolithique, la farine devient la nourriture de base pour la confection de galettes et de bouillies. La première technique utilisée fut le concassage. Il est difficile de déterminer quand et où la pierre cylindrique munie d’un manche fit son apparition. Au cours des siècles, le mouvement circulaire manuel ne cesse de se développer. On imagine introduire le grain par le centre évidé de la meule supérieure, c’est le moulin à bras. On invente des manèges auxquels on attelle des esclaves ou des animaux pour faire tourner des meules plus grosses. Ce sont les moulins à sang. Selon les historiens, le moulin à eau serait le détournement d’un mécanisme d’irrigation.
En effet, l’une des plus anciennes utilisations de l’énergie hydraulique est celle des roues élévatrices qui permettent d’amener une partie de l’eau servant à les mouvoir jusque dans des conduites d’irrigation. En France, le nombre des moulins à eau connaît une extension énorme au Moyen Âge. C’est la fin des grands systèmes esclavagistes et l’augmentation de la population dans les villes qui sont les causes principales du développement du moulin à eau. On peut ajouter un facteur agricole : l’expansion de cultures céréalières (froment) qui se prêtent bien à la mouture.
Fermeture en 1962
Le moulin de Melin Glaz a fermé ses portes en 1962, avant de tomber dans l’oubli. « Les moulins ont bénéficié de la révolution industrielle, notamment des progrès de la métallurgie, pour améliorer les mécanismes de transmission et les roues de captation de l’énergie de l’eau. Ils ne survivront pas à l’invention de l’électricité ». Comme le dit Michel Serres, le XXe siècle est la fin du néolithique et la disparition des moulins à meules de pierre en est l’illustration. Bernard Laurent