L’Usine de Kervellerin de Cléguer (56) développe une gamme de produits à partir des ressources marines. La poudre de coquille d’huître entre désormais dans la composition d’un filament pour impression 3D.
Un challenge d’entrepreneurs et de scientifiques bretons. C’est ainsi que l’on peut qualifier la mise au point récente d’un matériau souple pour imprimante 3 D contenant de la poudre d’huîtres. Une petite aventure industrielle locale en quelque sorte, dans laquelle l’Usine de Kervellerin apporte son écot avec une poudre à base de coquille d’huître. « Notre produit, associé à un polymère biodégradable, fourni par une entreprise d’Arzal (56), apporte de la flexibilité au filament. Le mélange est réalisé par une société des Côtes d’Armor », précise Martine Le Lu, docteur en pharmacie, gérante de l’Usine de Kervellerin. La formulation a été mise au point par des chercheurs de l’université de Lorient. Le filament, issu de ce travail collectif, entend se faire une petite place sur un marché où le « made in China » règne en maître. « 90 % des matériaux pour imprimante 3D viennent de Chine. Contrairement au nôtre, ils ne sont pas biodégradables ».
Diversification
Le développement durable est au cœur des préoccupations de la société depuis sa création dans les années 60 (fabrication d’engrais naturels). « Nous avons toujours tenté de valoriser des matières naturelles et locales à destination de divers secteurs industriels et agricoles. Le filament pour imprimante répond à un souci de diversification de l’activité ». Comme l’ensemble de la gamme de produits élaborés par l’entreprise, le matériau conçu répond à ces préoccupations ; les objets réalisés peuvent être compostés. « Il y a quelques années, nos clients nous demandaient de la poudre d’huîtres pour mettre une touche de “vert” ou de local dans leurs produits industriels. Aujourd’hui, on sent une vraie conviction, notamment chez les jeunes cadres et chez les jeunes chercheurs ». L’économie circulaire émerge et l’entreprise de Cléguer entend surfer sur la vague. Le marché du filament d’imprimante se développe rapidement. Cette croissance sera poussée par les ventes d’imprimantes personnelles et par une utilisation accrue de l’impression 3D chez les industriels.
Amendement trop cher ?
L’activité ostréicole génère des sous-produits en quantité importante : déchets de nettoyage de parcs, huîtres mort-nées victimes de conditions climatiques défavorables ou de prédateurs naturels. « Nous collectons ces sous-produits chaque année sur les chantiers ostréicoles du Morbihan, depuis 2005. Cela représente seulement 20 % des volumes présents dans le département. Ces déchets, mélanges de coquilles, de sable, de fils de pêche, sont triés à l’usine, nettoyés, concassés et broyés ». La grande majorité des déchets de dragage des parcs sont rejetés en mer. « C’est dommage de ne pas utiliser ce gisement dans une région agricole qui épand beaucoup de carbonate de calcium sur les terres ». Le coût de collecte et de tri des coquilles explique ce positionnement difficile par rapport à la concurrence des agrégats terrestres de carrière. La moitié de la collecte de l’entreprise est néanmoins valorisée dans des engrais (support calcique) et dans l’alimentation animale. « Nous espérons trouver une solution économique pour utiliser les coquilles comme amendement », souffle Martine Le Lu.
Une rencontre
Le LIMATB (Laboratoire d’ingénierie des matériaux de Bretagne) développe depuis son origine une thématique sur les éco-matériaux incluant l’intégration de ressources renouvelables dans différents domaines tels que les bétons, les composites ou les plastiques. L’équipe «polymères et composites» du laboratoire d’Ingénierie des matériaux de Bretagne s’est donc naturellement intéressée aux produits développés par l’Usine de Kervellerin pour la proximité, le savoir-faire technique ainsi que le caractère renouvelable de ses gisements de matières. Les premiers échanges entrepris en 2011, ont abouti à l’embauche au sein de l’entreprise de deux stagiaires du Master « Éco-conception : polymères et composites » de l’UBS. Les thématiques abordées lors de ces expériences industrie/recherche portaient sur la mise en œuvre, la caractérisation et l’analyse du cycle de vie de biopolymères (PLA, PHA) intégrant la poudre de coquille d’huître Ostrécal® en tant que charge. Cette première collaboration a permis d’évaluer les apports d’Ostréval® dans le domaine de la plasturgie et a suscité en aval l’intérêt de différents industriels associés au laboratoire et un développement commercial pour l’Usine de Kervellerin.
Dans les peintures
Dans l’immédiat, l’Usine de Kervellerin commercialise sa gamme de produits dans une vingtaine de pays et dans des domaines d’activité aussi divers que la cosmétologie (crèmes, savons), la para-pharmacie, l’agriculture, l’alimentation (calcium) ou l’industrie (peintures blanches sur les routes ou peintures décoratives). Toujours à partir de ressources marines locales (algues, coquillages…). Petite entorse à la règle, elle se fournit en guano de Namibie et en lithothamme d’Islande. « Cette algue a des vertus antiacides et est utilisée par de nombreuses communes pour le traitement des eaux. Nous l’importons d’Islande depuis l’arrêt de l’exploitation du gisement des Glénans. Là-bas, les sites sont réensemencés et bénéficient d’une gestion durable ». Pas question de participer à une opération de destruction de la ressource. Le terme « durable » est inscrit dans les gènes de l’entreprise. Bernard Laurent