La filière porcine française est sans doute celle qui souffre le plus de l’embargo russe en Europe. À tel point que la Commission européenne la presse de se restructurer. Comment en est-on arrivé là ?
Partout en Europe, les ventes de carcasses diminuent au profit des ventes de pièces et de viandes désossées. Les abatteurs captent de la valeur ajoutée en effectuant des opérations de première découpe. Leur métier évolue pour fournir aux clients les produits dont ils ont besoin. Les salaisonniers, qui souhaitent réduire leurs coûts de main-d’œuvre, y trouvent leur compte. En traitant bien plus de volume, l’abatteur écrase ses charges ; la filière gagne en efficacité. Ce modèle est-il appliqué partout à la même vitesse ? « Les principaux pays exportateurs européens se sont engagés dans la commercialisation d’une part plus importante de pièces », rappelle Fabien Djaout, de FranceAgriMer. « Le ratio exportations de carcasses/ exportations totales baisse fortement en Espagne (3 % actuellement) et aux Pays-Bas. Il est, depuis longtemps, faible au Danemark (9 %) ».
La France fait figure de cancre, ce ratio reste élevé (24 %). Il en est de même pour les viandes désossées. « Le ratio exportation de viandes désossées/viandes totales augmente significativement en Europe depuis 2006 ( de 24 % à 32 %). Cette évolution est portée uniquement par l’Allemagne et l’Espagne ». À leur avantage : le coût de main-d’œuvre, bien plus avantageux. Ils en profitent pour désosser quasiment la moitié des viandes exportées actuellement. À titre de comparaison, la France ne propose seulement que 20 % de viandes désossées à l’export.
[caption id= »attachment_14243″ align= »aligncenter » width= »300″] Trois leaders en Europe.[/caption]
Au révélateur russe
Le prix des pièces exportées sur le marché européen est également riche d’enseignements. « L’indicateur de valeur ajoutée des viandes exportées en Europe a progressé entre 2000 et 2014, surtout en Espagne et en Allemagne ». Une période mise à profit pour moderniser les lignes d’abattage et développer une offre de produits de seconde découpe, de plus en plus élaborés. Mise à profit également pour augmenter l’automatisation des outils. Moins de main-d’œuvre au final, et toujours moins de charges. Un cercle vertueux… La France n’a pas suivi ce mouvement. En 2014, le niveau d’indicateur de valeur ajoutée est le plus faible de tous ses concurrents directs, Pologne y compris.
Les avantages sur le marché européen valent aussi sur le marché mondial. L’embargo russe a été un véritable révélateur des forces et faiblesses en présence. Très rapidement, les industriels allemands, espagnols et danois ont réorienté l’activité de leur force de vente et adapté leur stratégie : le Danemark surtout sur le marché européen, les deux autres pays sur le marché tiers. En 2015, le solde du commerce extérieur français s’est dégradé. Les opérateurs français sont attaqués sur leur propre marché par les Espagnols et sur leurs marchés traditionnels d’exportation (Italie, Royaume-Uni, Japon, Corée). La taille des opérateurs français est jugée critique et fragilise la position de la filière. Bernard Laurent
Ailleurs, en Europe
Danish Crown délocalise
Danish Crown finance une restructuration de l’abattage au Danemark, où la production de porcs charcutiers baisse, et la délocalisation partielle de la découpe en Allemagne et en Pologne où le coût de la main-d’œuvre est plus compétitif. Le groupe a fermé plusieurs outils au pays et supprimé 7 000 emplois en dix ans. En 2015, le projet de fusion entre Danish Crown et Tican (2e abatteur danois) a été déposé ce qui conduirait le numéro 1 danois à abattre 88 % des porcs élevés au pays. Le groupe investit aussi dans le secteur bovin.
Vion dans le rouge
Depuis quelques années, le groupe Vion est en difficulté financière. La restructuration du parc d’abattoirs est en cours. Certains outils sont fermés, d’autres sont confortés. Le groupe tente de préserver l’activité et les emplois aux Pays-Bas et recentre son activité sur l’abattage-découpe. La restructuration est partiellement financée par la vente de la branche Vion ingrédients au groupe américain Darling international.
Tönnies Fleish fait du gras
Le groupe a multiplié par 8 son activité entre 2002 et 2014 pour atteindre 16 millions de porcs, soit 28 % des abattages en Allemagne. Cette croissance est basée sur un partenariat fort avec le hard discount qui lui assure un débouché régulier qui lui permet d’investir massivement dans l’automatisation des chaînes d’abattage. Ceci conduit à une standardisation des produits et à une réduction de la gamme qui génèrent des économies d’échelle. Les premières phases de la découpe sont totalement automatisées. La seconde est assurée par des travailleurs venus d’Europe de l’Est. Cette stratégie permet à l’entreprise d’exporter et de poursuivre sa croissance. La moitié de la production est exportée (Europe, Chine, Corée). Le groupe diversifie ses investissements : charcuterie-salaison, secteur bovin et traitement avancé des co-produits d’abattage pour l’industrie pharmaceutique.
El Pozo exporte
La petite entreprise espagnole produit, abat, transforme et exporte en Europe et en Asie. Elle est représentative des opérateurs espagnols qui sont de taille moyenne, avec une organisation qui intègre plusieurs maillons, leur offrant une forte compétitivité. L’Espagne reste relativement à l’écart des mouvements de concentration et de restructuration.