Pour montrer ce que vivent les agriculteurs, Yvon L’Anthoën a convaincu ses associés de mettre tous ses chiffres sur la table pour sensibiliser élus, presse, Administration et grand public.
Avant la robotisation en 2012, les 3 associés du Gaec de Kerjoie à Goudelin (22) passaient 6 heures par jour à traire. À l’époque, l’exploitation comptait 85 ha, 100 vaches, 90 génisses et 80 taurillons. « Trop de vaches pour un seul automate, pas assez pour deux », explique Yvon L’Anthoën. L’étude économique menée concluait sur la suppression des taurillons en faveur d’une augmentation de la production laitière. « Progressivement, nous avons inséminé en semence sexée et vendu les jeunes mâles. »
Le Costarmoricain n’en démord pas : « C’était un investissement réfléchi. Malgré les 350 000 € pour le bâtiment et les robots, notre point d’équilibre reste raisonnable, dans la moyenne du centre comptable : entre 340 et 350 € / 1 000 L. » Il poursuit : « Notre taux d’endettement à 50 % n’est pas affolant pour une banque s’il s’explique. Une exploitation qui investit est aussi une exploitation qui vit, se développe et conserve un outil transmissible demain. »
280 000 L de lait en plus
La référence de 680 000 L sous le régime des quotas a été transformée « grâce à la matière grasse en un contrat de départ de 720 000 L », dont 72 000 L en prix B (chez Sodiaal : 90 % en A, 10 % en B). « L’année dernière, nous avons livré 180 000 L de plus. 100 000 L cette année. Tout en lait B. » Aujourd’hui, le Gaec produit donc, avec 130 laitières, 1 million de litres de lait. Dont 70 % en prix A, « la coopérative ayant décidé qu’une structure ne pouvait pas avoir plus de 30 % de son volume en B ». Hormis des accidents de parcours en 2015 (« butyriques et courant parasite »), les associés visent un lait « à 42 de TB, 34 de TP et 0 pénalité » avec des Normandes, Prim’Holstein et croisées Red Holstein x Normandes. « De 2012 à 2014, nous l’avons fait. Mais aujourd’hui, c’est désespérant. Malgré de la qualité partout, on ne touche que 295 € / 1 000 L en A et 200 € en B ».
Bilan prévisionnel clôture 2017
Recettes
- 1 000 000 L de lait : 300 000 €
- 30 réformes : 27 000 €
- 60 veaux croisés : 8 400 €
Principales dépenses
- 230 t d’aliment : 85 000 €
- 250 h d’ETA : 25 000 €
- Salaires de 3 UTH : 43 200 €
- Emprunts : 84 000 €
- Cultures : 23 000 €
- Fermage : 15 000 €
- MSA (3 associés) : 24 000 €
Perte de 4 000 € / mois
Le producteur chiffre ses pertes actuelles. « Coût de production à 340 €, paie à 290 € : on perd 50 € / 1 000 L. Or nous livrons 80 000 L de lait par mois. » L’exploitation creuse donc un déficit mensuel de 4 000 €. « J’ai 56 ans. Je n’avais jamais connu. C’est la première fois que l’élevage se situe dans le quart inférieur du centre comptable. La faute au volume B à 200 €… Et le banquier dit chez d’autres, les jeunes en particulier, c’est pire ! »
Aussi ému que dégoûté, Yvon L’Anthoën pousse l’analyse. « En 2015, nous avons dégagé un EBE de 145 000 € qui a permis une épargne de 25 000 €. » Il précise : « Nous remboursons 70 000 € d’emprunts par an. Nos prélèvements privés sont de 1 200 € par mois et par associé, soit 43 200 € par an, un salaire peu élevé ramené à l’heure de travail. » Cela fait un besoin minimum de 113 200 €. Pour le bilan comptable bouclé le 31 mars prochain, l’éleveur prévoit un EBE de 105 000 €. « Les 8 200 € manquant, cette année, nous les absorberons avec le peu de trésorerie qu’il reste. »
Pas les moyens d’appliquer la DN 5
La Directive Nitrate 5 impose une capacité de stockage de 5,5 mois quand, au Gaec, la fumière est pleine en 2 mois suite au passage de 100 à 130 laitières en 2 ans. « Dès 2014, la réglementation nous a obligés à nous déclarer en non-conformité. On l’a fait. Mais sur le document prérempli, j’avais rajouté que les travaux seraient sous réserve de capacité financière de l’entreprise », raconte Yvon Lantoine. Des travaux, « dont le devis s’élève à 80 000 € », à réaliser pour octobre prochain. « Aujourd’hui, c’est inimaginable. Il ne me viendrait même pas à l’idée de solliciter notre banque… » La fumière ne sera pas agrandie. « En 2017, nous serons contrôlés en non conformité stockage… L’amende portera sur nos primes. Ici, nous touchons 37 000 € de la Pac, il est déjà prévu que nous perdions 10 000 € d’ici quatre ans avec la dernière réforme… » DDTM, DDPP et sous-préfecture de Guingamp ont déjà été alertées par l’éleveur. « Mais le problème est exactement le même dans de nombreuses exploitations. »
Les 1 680 € du Plan Valls
Se lançant dans un bilan prévisionnel sur l’exercice suivant (voir tableau), il liste les investissements jugés nécessaires : « 20 000 € pour le godet désileur à remplacer ; 13 000 € pour un bac tampon permettant aux robots saturés avec 65 vaches de continuer à traire pendant le lavage du tank… Les annuités d’emprunts grimperaient à 84 000 € / an ». Avec un prix du lait annoncé dégradé sur la durée, en 2017, il anticipe un EBE de moins de 90 000 €. « Perdre entre 50 à 60 000 € d’EBE en deux exercices, c’est énorme sur une exploitation. » Et ne lui parlez pas des dernières annonces du Gouvernement : « Au Gaec, les 7 % de baisse de charges sociales représentent 1 680 €… Quant à l’année blanche, nous ne sommes pas assez dans le rouge pour en profiter… M. Valls, M. Beulin, votre plan ressemble à une friandise qu’on donne à un enfant… », termine Yvon L’Anthoën, très remonté. Toma Dagorn