Ce 53e Salon s’apprête à fêter une agriculture en déconfiture. Mais le rendez-vous de Paris ne semble pas connaître la crise. Même si son visage change. Dans le hall 1, depuis 15 ans, au milieu des associations de races, syndicats agricoles, éleveurs, producteurs transformateurs ou signes de qualité, les stands des grandes marques de l’industrie agroalimentaire, de la distribution ou de la restauration hors foyer ont poussé comme des champignons. Pour Lidl, Auchan, Bonduelle, Cargill, Mc Cain, Mc Donald’s et bien d’autres, l’heure est à la communication intense. Surfant sur l’image positive d’un rendez-vous où les visiteurs se comptent toujours par million, venus voir les vaches et croquer un morceau de gastronomie des régions. Charal en profite généralement pour une campagne d’affichage choc dans le métro. Il y a une certaine schizophrénie là-dedans puisque la profession ferraille de haute lutte avec certains de ces opérateurs pour un meilleur partage des marges…
Et dans ce décor, le calme du défilé des animaux sur les rings devrait contraster avec l’effervescence autour des habituels cortèges de responsables politiques en campagne médiatique. La désespérance étant si forte dans les exploitations, en Bretagne et partout ailleurs, que certains bains de foule risquent de se transformer en douche froide. Dans cette agitation, espérons au moins que les Parisiens ne garderont pas seulement le souvenir d’avoir vu les vaches à la traite. Mais qu’ils auront aussi mieux pris conscience d’une agriculture, pilier de l’économie et de l’emploi, qu’on maltraite. Toma Dagorn[nextpage title= »Dans sa robe noire, Héline veut voir Paris « ]
Habitués des comices cantonaux, Patrick et Clément Rabin font le grand saut et montent à Paris avec Héline, une seconde lactation qui brille dans leur cheptel.
« Nous n’aurions pas tenté la sélection de Paris si on ne nous avait pas poussés un peu. C’est une fierté de participer à ce concours. Cela n’arrivera peut-être qu’une fois… », apprécie Patrick Rabin, installé en exploitation individuelle à Carentoir (56). Son fils Clément, « passionné de génétique », travaille avec lui comme salarié depuis 6 ans. Leur petit plaisir est de sortir quelques animaux, chaque année, au comice des Fougerêts. En septembre dernier, parmi leur lot, il y avait Héline (Chelios x Umanoir x Zénith), une jolie primipare qui a raflé la mise cantonale. « Certains éleveurs du coin nous ont même dit qu’elle aurait mérité d’aller au Space… » Alors, le mois suivant, en octobre, Héline est montée au départemental de Pontivy. « En fin de lactation », elle a su encore tirer son épingle du jeu : 2e de section.
[caption id= »attachment_13984″ align= »aligncenter » width= »800″] Clément Rabin présente Héline, dans sa robe presque toute noire, une grande vache en seconde lactation qui présente un système mammaire de qualité.[/caption]
« On part dans l’inconnu »
Alors qu’approche le prestigieux rendez-vous de la Porte de Versailles, les deux Morbihannais avouent « partir dans l’inconnu ». Clément Rabin accompagnera Héline pour le déplacement et la conduira sur le ring. Un défi dont il prend bien la mesure. Le jeune homme a suivi l’École des jeunes éleveurs à Ploërmel il y a plus d’une dizaine d’années. Cela lui a mis le pied à l’étrier. Depuis, il aime préparer ses animaux. Leur apprendre la marche, les clipper.
À quelques jours du départ, la jeune vache, qui a vêlé de son 2e veau le 15 décembre, est en forme. Fille d’un taureau génomique (« confirmé par la suite ») et issue d’une lignée femelle d’animaux « grands et productifs », elle reste un peu une « surprise » dans cette « souche maison pas spécialement faite pour les concours ». Ses points forts : « Sa mamelle sans hésitation. Et son format », précise Clément Rabin. Elle a récolté de bons résultats de pointage en première lactation : 89 en mamelle, 88 en format, 84 en solidité laitière, 83 en membres… Pour une note globale de 87 points. « Des pointages qui devraient évoluer favorablement au prochain passage du technicien de l’Upra ». Elle a aussi ce « petit plus qui fait qu’on repère tout de suite » sa robe noire au milieu des 90 vaches du troupeau. Patrick Rabin, lui, n’oublie pas de souligner que l’animal fait aussi du lait : « 9 500 kg en 290 jours pour sa première campagne. »
Insister sur la mamelle et les membres
« Nous avons beaucoup cherché à améliorer la morphologie dans les accouplements : nous aimons bien les grandes vaches dans notre stabulation sur aire paillée. Aujourd’hui, on appuie moins sur la morphologie au profit du lait », détaille Patrick Rabin. L’éleveur insiste également aujourd’hui sur les index mamelles et membres : « Deux critères sur lesquels le troupeau doit progresser au vu des notes de pointage. » Toutes les génisses sont inséminées en semence sexée. Les nombreuses femelles obtenues permettent « de trier les souches pour éliminer les vaches petites, peu laitières ou aux mauvaises mamelles. » La queue de troupeau est alors croisée avec du Bleu Blanc Belge ou de l’Inra 95.
De Paris à Morlaix
En plus, Héline est « sympa, curieuse, agréable et calme, facile à mener… » Des qualités qui « encouragent encore plus à la sortir. » Elle devrait d’ailleurs filer à Morlaix le 12 mars pour le Régional, puis être collectée. Mais avant ça, elle veut voir Paris et ses lumières, tout comme ces deux agriculteurs qui n’ont encore jamais mis les pieds au concours du Salon de l’agriculture. Toma Dagorn[nextpage title= »Une idylle parisienne qui dure »]
Jacques Delaunay, mordu d’élevage « tombé dedans quand il était petit », a patienté longtemps avant de vivre sa passion au quotidien.
Jacques Delaunay et la race normande à Paris, c’est une longue histoire. Aujourd’hui installé à Parigné (35) avec son épouse Catherine et son fils Arnaud, le Brétilien va bientôt enfiler le costume de juge à la Porte de Versailles. Mais ses premiers pas au Salon de l’Agriculture remontent à l’enfance. « J’ai grandi dans une « famille à concours ». Mon grand-père, mon père et mes oncles montaient régulièrement à Paris avec des animaux. Dès que j’ai su marcher, je les ai accompagnés. »
Plus tard, au début des années 80, l’élève de la maison familiale de Fougères (35) passe trois fois les sélections d’Ille-et-Vilaine pour représenter le département à l’occasion du trophée des jeunes pointeurs. « Sur le ring parisien, nous devions juger deux Normandes et deux animaux de race à viande. Dans cette configuration, ce n’était pas évident de se rapprocher au plus près du pointage du juge. Mon meilleur classement : 7e sur 180 participants. »
[caption id= »attachment_13985″ align= »aligncenter » width= »683″] Jacques Delaunay et Citrouille qui a gagné sa section au Space 2015.[/caption]
20 ans salarié avant de s’installer.
Ensuite, « en attendant de pouvoir financièrement s’installer et reprendre la ferme familiale », le passionné d’élevage a dû prendre son mal en patience. Et travailler 20 ans comme polisseur dans le granit. « Je prenais des jours de congé pour accompagner mes parents au concours… » En 2000, vient enfin l’heure de la reconversion tant attendue. À 39 ans, Jacques Delaunay s’installe et amène dès 2003 deux vaches au concours à Paris. « Réussir à placer un animal parmi les 40 meilleures Normandes de France, c’est un moment important de la carrière. » Et puis, en 2009, Superbe (Joakim x Driver x Bunuelo) remporte le Space avant de faire Prix d’honneur des vaches en lait adulte au National…
Normande standard pour troupeau homogène
Parallèlement, il s’affirme peu à peu comme juge. « Cantonaux, départementaux, Terralies à Saint-Brieuc, Régional de Briouze (61), Space 2012… » Et maintenant la Porte de Versailles, nouveau chapitre de son histoire parisienne. « Juge, c’est la cerise sur le gâteau. Être désigné pour Paris, une vraie reconnaissance comme classificateur et comme éleveur », apprécie Jacques Delaunay. « On est impatient que la date arrive. Il y a du stress. Puis une fois sur le sable, le plus dur est de démarrer, comme un sportif. » À l’esprit, il a déjà son type de vaches. « Mamelle de qualité, bons aplombs, bassin large et du style pour accrocher l’œil. Pas forcément des vaches très grandes : la Normande aura de l’avenir si elle résiste aux systèmes logettes. On doit rechercher des vaches standard, robustes et passe-partout pour des troupeaux homogènes sans perdre la musculature », explique pourtant ce fervent défenseur de l’aire paillée. Avant de poursuivre : « J’aime les vaches nature, propres et tondues, fières à la marche… Un concours est un peu un défilé de mode. Mais dans un coin de la tête, il faut toujours avoir l’aspect rentabilité. Le lait par jour de vie, c’est le plus important sur l’exploitation. Je cherche des championnes taillées pour durer. Qui vêlent jeunes et régulièrement. » Le pari d’un homme qui monte une fois encore à la capitale. Toma Dagorn[nextpage title= »Baptême parisien pour l’élevage Rolland »]
Pourtant habitué des concours et des podiums, l’élevage Rolland, sélectionneur à Lannion (22), se rend pour la première fois au Salon de l’agriculture. Son taureau Héron, en copropriété avec l’EARL R D, fait partie des 40 nominés.
« On dit souvent entre nous, éleveurs, que c’est la finale des concours », sourit Sébastien Rolland, très heureux de sa première participation au concours Limousin de Paris. « C’est une chance d’y aller. » L’éleveur sera sous les feux de la rampe accompagné de Héron, un mâle né en novembre 2012 sur l’EARL R D de Châtillon-en-Vendelais (35). « Depuis 2013, nous le détenons en copropriété à 50/50 avec l’EARL R D. » Génotypé, le taureau affiche notamment un score de 10/10 en développement musculaire et lait, et une note de 8/10 en facilité de naissance, croissance et développement squelettique.
[caption id= »attachment_13986″ align= »aligncenter » width= »800″] Champion à plusieurs reprises sur la Bretagne, Héron va-t-il aller plus loin à Paris ?[/caption]
À Paris avec le Gaec du Bois au Bé
Deux fois Champion mâle à la Foire de Rennes, Meilleur animal du concours à Rennes et à Morlaix, Champion mâle aux Terralies et à Pontivy, 5e sur 40 mâles au National 2014 à Limoges… Le taureau n’est pas un petit joueur. À Paris, Héron va retrouver ses concurrents nationaux. Espérons qu’il en revienne gai comme un pinson, avec un prix. Pour l’aller, il fera route avec les deux femelles suitées emmenées par le Gaec du Bois au Bé (22). Les deux élevages sont les seuls à représenter la Bretagne au concours Limousin du Sia 2016. En attendant, Héron poursuit sa préparation, avec notamment une alimentation adaptée à l’enjeu. « Il est lavé et brossé tous les deux jours », ajoute Sébastien Rolland qui restera à Paris du mardi 1er mars jusqu’au dimanche 6 mars, le concours ayant lieu le jeudi.
[caption id= »attachment_13987″ align= »aligncenter » width= »773″] Sébastien Rolland s’est installé le 1er avril 2015, reprenant l’élevage de sélection de ses parents qui compte 60 mères Limousines.[/caption]
Depuis 2000, il suit son père sur les concours. « J’ai commencé à y participer seul à partir de l’âge de 16 ans. C’est une passion pour moi. On peut discuter, échanger entre éleveurs. Bien sûr, cela apporte également une notoriété à l’élevage. » Dernièrement, un autre animal de l’exploitation s’est distingué : Jade, une fille du taureau Félin, qui a fait Meilleur animal du concours à Pontivy en 2015. En tant que président du syndicat limousin des Côtes d’Armor, Sébastien Rolland souhaite contribuer à la promotion de la race, et motiver les jeunes éleveurs à s’inscrire aux concours. Auparavant aide familial, il s’est installé le 1er avril 2015, reprenant l’élevage bovin de ses parents. L’atelier compte 60 mères limousines, avec un objectif d’augmenter l’effectif à 80 vaches. « Je garde une quinzaine de mâles par an pour la vente en reproduction. Toutes les femelles vêlent au moins une fois avant le premier tri. »
Sponsorisé par le Super U de Trégastel
Original. Pour aller à Paris, Sébastien Rolland est sponsorisé par le Super U de Trégastel, magasin qui lui achète depuis peu une bonne partie de ses femelles. C’est suite à un blocage du magasin lors des manifestations de juillet dernier que le directeur du Super U de Trégastel, situé à une dizaine de kilomètres de l’exploitation, a demandé à travailler avec Sébastien Rolland. « Lui et son chef boucher m’ont proposé de vendre de la viande issue de mon troupeau dans le rayon traditionnel du magasin. Ils demandent des vaches R ou U, Limousines pures », explique le producteur.
« Nous avons commencé à Noël, et cela a tout de suite bien marché. Initialement, nous partions sur six vaches par an. Aujourd’hui, le contrat est passé pour une femelle par mois. » Cette démarche de valorisation locale permet à l’éleveur de bénéficier de prix plus élevés que sur le marché classique. Le magasin s’approvisionne pour d’autres produits en local également : volaille, produits de la mer, légumes. Des affiches à l’entrée du magasin montrent les agriculteurs et le mareyeur. Et dans le rayon boucherie, des photos et une vidéo présentent Sébastien Rolland et l’exploitation.
De la viande désormais
L’éleveur réalise des inséminations du 15 octobre au 1er décembre, puis les taureaux entrent en piste, généralement au nombre de trois dans trois lots. « Sur la dernière campagne, 30 % des veaux sont issus d’IA et 98 % ont des pères qualifiés », chiffre l’éleveur. Alors que la moyenne de race avoisine 98, l’Ivmat sur l’ascendance maternelle du troupeau est de 102. « Mon père a développé un type mixte élevage. Moi, je recherche désormais plus de viande. Les éleveurs qui m’achètent des reproducteurs (surtout des Bretons) demandent de l’épaisseur de dos, des quartiers arrière développés… » Sur l’élevage, les naissances se passent bien, avec des vaches mises à la diète 2 mois avant vêlage : « au foin, minéraux et eau. » Agnès Cussonneau