Le monde la finance vit une purge, résultat de toute la folie qui s’est emparée des marchés abreuvés d’argent facile. La panique commence à être palpable. La volatilité est de retour. L’agriculture ne sera pas épargnée.
Nous vivons, selon les dires des analystes financiers, le pire démarrage de début d’année sur les marchés boursiers. Depuis le 1er janvier, Shanghai a perdu 25 %, le CAC 40 en est à -10 % et son homologue américain, le S&P500, à -11 %. Le plus surprenant semble… la surprise que cela représente pour de nombreux investisseurs.
Déconfiture et fébrilité
Et pourtant, face à la hausse continue de 47 mois sans correction majeure (la troisième plus longue dans l’histoire du marché), il y avait de quoi s’interroger. Comme il faut trouver un bouc émissaire à cette déconfiture, tout y passe : le ralentissement chinois, la baisse du pétrole, la remontée des taux aux USA, la progression de Donald Trump dans les sondages, les bénéfices lamentables des entreprises, la fin de l’argent facile déversé par la Réserve fédérale américaine, etc.
Aujourd’hui, les traders attendent, fébriles, les annonces de la Fed ou de la BCE, ultimes sauveurs devant l’éternel. Mais après huit années d’argent gratuit pour relancer la machine, et aussi peu de résultats puisque ces liquidités n’ont jamais atteint l’économie réelle, la fuite en avant est-elle encore possible ? Devra-t-on, une fois de plus, sauver des banques (dont les valeurs s’effondrent) qui répètent inlassablement les mêmes erreurs ?
Derrière le masque américain
Les inquiétudes actuelles ne concernent pas seulement les actions, mais aussi le marché obligataire (celui de la dette), beaucoup plus vaste et dangereux. Pour gérer la crise des subprimes de 2008, de nombreuses banques centrales ont non seulement fait marcher la planche à billets, mais elles ont aussi abaissé les taux d’emprunt, certains étant portés à zéro et d’autres devenant même négatifs…
Pour trouver du rendement, les banques et fonds d’investissement se sont donc lancés dans une course aux produits risqués, prêtant à des États et à des entreprises qui sont aujourd’hui incapables de rembourser dans une économie qui tourne au ralenti. Aux USA, l’exemple le plus frappant est celui des entreprises investies dans le pétrole de schiste. Celles-ci, fortes d’un financement presque gratuit, ont développé des gains de productivité incroyables en très peu de temps, permettant au pays de retrouver rapidement les niveaux de production des années 1970. Mais la crise de l’offre que subit actuellement le marché pétrolier a fait descendre à 30 $ le prix du baril, quand les échéances de remboursement ont été calculées avec un prix d’objectif à 80 $. Résultat des courses, un tiers de ces sociétés sont au bord du défaut de paiement.
Comment ne pas s’interroger quand une croissance qui décélère de 3,9 % vers 1,5 % engendre un taux de chômage qui recule plus rapidement encore ? Aujourd’hui, les ventes de détail stagnent et les enseignes de la grande distribution sont à la peine. Et 47 millions d’Américains sont abonnés aux bons d’alimentation, soit 15 % de la population pointant aux Restos du Cœur. Comme en 2008, le risque est systémique, c’est-à-dire que nous ne pourrons pas couper à un effet de dominos, tant les banques sont toutes interconnectées. Ainsi, la Deutsche Bank, première capitalisation boursière européenne, n’en finit pas de chuter (-41 % depuis le début de l’année).
Les marchés agricoles ne peuvent être insensibles à ce qui se passe sur la planète finance. Les investisseurs possèdent par exemple dans leurs portefeuilles des « paniers de matières premières » qui peuvent soit s’avérer des valeurs refuges dans la tempête, soit être vendus pour éponger les pertes subies ailleurs. Sur les marchés à terme, le prix est la résultante de la confrontation des acheteurs et des vendeurs
Depuis quelque temps, à Chicago, le blé, le maïs et le soja avaient trouvé des valeurs plancher qui reflétaient la rétention des agriculteurs. Mais que feront ces producteurs, qui comme tout Américain qui se respecte, gèrent leur retraite via des fonds d’investissement à Wall Street ? Autre source de volatilité, l’évolution des devises. Si la débandade continue, les banques centrales ou le FMI interviendront, provoquant une évolution des taux de change. Une baisse du billet vert serait par exemple un frein à la baisse des matières premières exprimées en dollars sur le marché mondial. On le voit, de nombreux effets antagonistes peuvent être à l’œuvre et bien malin qui peut en connaître le résultat.
Chicago et la spéculation
Contrairement à 2008, les fonds spéculatifs sont « short » sur le marché de Chicago en blé, maïs ou soja. Cela veut dire qu’ils pariaient sur une baisse de ces produits, qu’ils ont vendus sans les posséder, pour les racheter moins cher plus tard… Il y a 8 ans, ils étaient haussiers et avaient donc à l’inverse, acheté des contrats. Si ces financiers ont besoin d’argent aujourd’hui pour éponger des pertes sur les marchés actions par exemple, ils vont donc racheter leurs contrats de céréales ou d’oléagineux, pour encaisser leurs gains. Cela devrait avoir un effet plutôt stabilisateur sur les marchés agricoles contrairement à 2008 où ils devaient vendre pour récupérer leur argent.
Des turbulences à venir
Il reste donc très difficile d’anticiper le chemin que vont emprunter les cotations des produits agricoles dans les prochains mois, mais il est certain que la volatilité est de retour. Nous sommes sans doute face à des turbulences importantes à venir, qui n’auront rien à voir avec la météo ou les autres fondamentaux du marché. Patricia Le Cadre, Céréopa