Les assemblées locales de CerFrance Côtes d’Armor sont l’occasion d’un tour d’horizon de la santé économique des filières et de débat sur les questions d’actualité. Extraits des échanges à Broons.
« Le contexte actuel est très particulier, avec une crise simultanée de toutes les productions », débute Laurent Marc, directeur adjoint de CerFrance Côtes d’Armor. « Partout il y a un déséquilibre offre / demande où 1 à 2 % de production en plus entraîne une chute de prix de 30 à 40 %. »
Surproduction laitière
Après les bons niveaux de récolte de 2014 et 2015, les records de stock des matières premières pèsent sur les marchés qui décrochent. Dans ce contexte, les élevages devraient encore profiter d’une baisse du prix de l’aliment. « Il diminue depuis 2014, mais la répercussion de la baisse des céréales n’est pas complète. Notamment sur l’aliment porc : le point bas d’aujourd’hui est à 240 €, loin des 200 € d’avant », note Laurent Marc. « En lait, on constate que le coût alimentaire baisse un peu pour se situer à 90 € / 1 000 L. Mais loin aussi des moins de 70 € que nous avons connus. »
Et d’enchaîner : « Le marché laitier est plombé. » D’un côté, il y a la « surproduction » liée à la hausse des volumes en Allemagne, Pays-Bas, Irlande… » De l’autre, la fermeture de la Russie, une petite baisse de consommation des Européens et la Chine qui n’importe plus. « L’impact est direct sur le prix A… » En 2015, le prix moyen payé aux éleveurs a été de 318 €/1 000 L, 60 € de moins qu’en 2014. « Depuis le début de la chute des cours, on constate en moyenne une baisse de trésorerie de 25 00 € des ateliers lait. Jusqu’à 40 000 € chez les plus fragilisés. » L’heure est si grave qu’une coopérative hollandaise donne 20 €/ 1000 L pour produire moins. « Du jamais vu ! ». Et pour 2016, le prix du lait reste sous pression…
En volaille et viande bovine, la Pologne s’impose
En viande bovine, après l’Allemagne, « la Pologne est arrivée masquée et nous dame le pion sur le marché italien, débouché traditionnel pour les mâles », explique Laurent Marc. Pour le reste, la cotation est très liée à la dynamique laitière. La moitié de la consommation de viande bovine (qui diminue également) se fait sous forme de steack haché qui valorise surtout de la vache de réforme. « Or, avec la crise, les laitiers ont tendance à décapitaliser du cheptel. » Au final, le marché reste difficile.
En ponte, si les œufs alternatifs se vendent, la demande de ceux issus de cage baisse : le spécialiste parle aussi de « surproduction ». Dans ce marasme, seule la volaille de chair tire, un peu, son épingle du jeu avec « une petite hausse de la consommation en RHD et des abattages. En 2015, marges et revenus des éleveurs ont légèrement remonté. » Mais là aussi, la Pologne, devenue en 10 ans le premier producteur de l’UE, nous concurrence « Une viande facile à délocaliser une fois qu’on a les souches génétiques sous la main et le grenier à céréales ukrainien à proximité ».
38 % de résultats négatifs en porc
Sur la filière porcine, Laurent Marc constate que malgré les progrès techniques constants (IC moyen à 2,81 aujourd’hui), la rentabilité des ateliers est négative depuis quelques années. Le prix payé aux producteurs ne couvre pas les coûts de revient. « Depuis 2007, il n’y a pas eu une bonne campagne. Le revenu moyen a chuté sur 2015 avec 38 % de résultats négatifs. Les trésoreries sont très dégradées pour près de 40 % des exploitations. » Pour expliquer cette situation, le spécialiste lâche sans hésiter le mot de surproduction. « Il n’est pas le fait des Bretons, mais avant tout des Espagnols… Plus de cochons et en face un marché russe fermé, une consommation de viande de porc en baisse notamment chez les jeunes, et y compris, fait nouveau, sur le créneau de la charcuterie… L’équation devient impossible à résoudre. » Depuis le début de cette crise « où un atelier de 200 truies a perdu en moyenne 50 000 € », peu de solutions concrètes ont émergé : « Il n’y a pas de retour du décret sur l’étiquetage parti à Bruxelles, pas encore d’évolution sur la répartition des marges alors que la distribution communique déjà fortement sur son engagement… » Aujourd’hui il faudrait que les responsables mènent « 10 à 12 chantiers simultanément », toutes filières confondues : partage de la valeur ajoutée, organisation de la filière, étiquetage de l’origine sur les produits transformés, régulation de la production…
Interpellé sur la proposition de contractualisation d’Intermarché indexée sur le coût alimentaire, il explique : « C’est mieux que sur les contrats laitiers puisqu’il y a un engagement prix. L’aspect positif est que cela lisse le prix payé évitant une chute violente. Mais est-ce mieux que si on laisse le marché faire ? Intermarché propose un prix pivot à 1,50 €. Sur les cinq dernières années, dans 60 % des cas, le cadran additionné des primes a été au-dessus et l’éleveur a eu en moyenne 1,53 €. » Producteur de porc et président de CerFrance Côtes d’Armor, Jean-Michel Lebret poursuit : « Bonne ou mauvaise, c’est la seule proposition effective qu’on ait eu dans la filière depuis 18 mois de crise. Je le vois comme un moyen de sécuriser 50 % de sa production à un prix déterminé à l’avance, un peu comme on se couvre avec les marchés à terme en céréales… » Toma Dagorn